De Rob Marshall Avec Noma Dumezweni, Art Malik, Halle Bailey
Les années 1830, dans les eaux d’une île fictive des Caraïbes. Ariel, la benjamine des filles du roi Triton, est une jeune sirène belle et fougueuse dotée d’un tempérament d’aventurière. Rebelle dans l’âme, elle n’a de cesse d’être attirée par le monde qui existe par-delà les flots.
Chronique : Fallait-il faire de l’un des dessins animés les plus iconiques de Walt Disney, La Petite Sirène, sorti en 1989 et très librement adapté d’un conte d’Andersen, un film ? Le projet pharaonique de Rob Marshall (à qui l’on doit notamment Chicago, Pirates des Caraïbes : la fontaine de Jouvence ou Le Retour de Mary Poppins) a été réalisé avec un budget de 150 millions d’euros. Nous avons tous en tête les images du dessin animé de 1989, avec sa sirène rousse à la peau de lait, accompagnée de ses amis poissons, crabes ou goélands, ainsi que sa collection sous-marine d’objets du quotidien glanés au fil des naufrages par cette créature mythologique que les humains fascinent. Le film va-t-il les trahir ?
Dès les premières scènes, cette version en « live-action » du conte (c’est-à-dire un remake, avec des acteurs en chair et en os, du dessin animé original) nous emporte. Tout commence par les vagues qui se fracassent, un navire qui tangue sur les flots, des embruns, de l’écume. Sur notre siège, on est presque tenté de s’ébrouer, gagné par les sensations du roulis. Bientôt, on plonge en profondeur, nageant aux côtés d’Ariel (Halle Bailey), dans un monde où dansent les algues folles, où s’amusent les méduses, où vibre la vie multicolore et enchanteresse de l’océan. Ce spectacle à lui seul, qui rend délicieusement vivant le légendaire dessin animé sans le dénaturer, justifie le prix du billet de cinéma : il y a là de quoi faire ouvrir de grands yeux aux petits comme aux grands. Javier Bardem à la rescousse des océans
Mais le réalisateur ouvre aussi une autre dimension, très contemporaine, dans le propos du film. En 1989, on ne pensait pas encore à la pollution plastique, aux algues vertes, aux espèces en voie de disparition. Face au spectacle enchanteur d’un océan qui va très bien, à une époque de contes de fées où les navires sont en bois et où l’on s’éclaire aux chandelles, on est à la fois conquis et troublé. Les images du malfamé « septième continent » de plastique nous touchent au plus profond de notre âme. Les océans sont-ils féériques ? Le film met les points sur les « i » à travers la voix tonitruante de Javier Bardem, qui incarne un formidable et redoutable Triton, père d’Ariel et roi des mers. Trident en main, celui qui rejette les humains corps et âme leur reproche les dégâts qu’ils font subir à son habitat naturel : leurs incessants naufrages abîment la grande barrière de corail, qui mettra des siècles à se reconstruire, leur pêche décime les innocentes créatures des mers, et leur avidité porte préjudice à l’équilibre des océans.
Rien de tout cela n’existait dans le dessin animé. Le fait que Bardem soit un fervent défenseur des océans (il milite notamment au sein de Greenpeace pour leur préservation, et on l’a vu par exemple plaider la cause du continent bleu devant l’ONU) a permis à Rob Marshall et à son producteur John DeLuca de s’emparer de la question, en évitant la lourdeur. « C’était important pour nous de rappeler aux spectateurs que l’océan est vivant. Nous avons cherché à éviter la pesanteur, tout en rappelant cette évidence », explique Rob Marshall. Le pari est gagné. On songe au paradis perdu d’une mer propre, sans être projeté contre l’écueil d’une leçon de morale, rédhibitoire quand on s’offre l’évasion que promet un Disney.
Qui dit Disney, dit musique. La légèreté se joue aussi sur la bande-son du compositeur Alan Menken, qui a remporté un Oscar de la meilleure musique de film et de la meilleure chanson originale pour « Under the Sea » en 1990. Le compositeur a habilement remixé les titres, reconnaissables dans leur saveur tout en leur donnant une autre profondeur – agrémentés de quelques inédits. Si l’on doit apprécier la chanson-titre d’Ariel (« Part of Your World ») en aimant le miel, le sucre et le sirop d’orgeat, les autres chansons du film (dont la légendaire « Under the Sea ») sont plus espiègles et bondissantes que jamais.
Mais est-ce qu’on ne regarde vraiment qu’une version incarnée de l’un de nos bons vieux classiques Disney, agréable à regarder et à écouter, une romance inoffensive avec des airs de madeleine de Proust et le goût vivifiant de sel marin ? Pas seulement. Il y a d’autres dimensions dans cette nouvelle Petite Sirène. Le film, parfois accusé de s’engager trop fortement dans le wokisme, a suscité des divisions dès ses premières bandes-annonces. Beaucoup ont été émus par les vidéos de petites filles afro-américaines bouleversées de voir l’actrice noire Halle Bailey incarner Ariel, traditionnellement blanche, qui ont largement circulé sur le Web. D’autres ont grincé des dents au nom du respect des traditions. Face au film, on ne se pose plus la question de la couleur de peau de l’actrice.

La fin de La Petite Sirène a été modifiée pour offrir une nouvelle perspective à l’histoire. Après avoir brisé le collier qui emprisonnait sa voix, Ariel se retrouve plongée dans une bataille acharnée contre Ursula, alors que Triton prend la place d’Ariel et disparaît grâce à la magie d’Ursula. Détenant désormais le trident, la sorcière des mers devient monstrueuse et étend son contrôle sur l’océan, dévastant à la fois le monde sous-marin et la surface.
Cependant, Ariel ne se laisse pas abattre et se révèle être bien plus puissante qu’Ursula ne l’avait imaginé. Elle se défend avec détermination, brandissant le beaupré d’un navire échoué, et le plante dans la poitrine d’Ursula, la tuant sur le coup. Sa mort met fin à son règne maléfique et à la magie qui lui permettait de manipuler les autres.
Triton est rétabli dans sa position de roi des mers, mais Ariel et Eric se retrouvent tous deux attristés, pensant qu’ils ne pourront jamais être ensemble. Cependant, Triton, touché par l’amour sincère d’Ariel et Eric, décide d’exaucer leur souhait de vivre ensemble. Il utilise sa magie pour transformer Ariel en humaine, lui permettant ainsi de rejoindre Eric sur la terre ferme.
Ariel et Eric se marient alors, symbolisant l’union de leurs deux mondes. La fin de La Petite Sirène annonce une alliance entre le monde humain et celui de la mer. Avant cela, les humains craignaient les habitants des profondeurs marines, les accusant souvent d’être responsables des naufrages. Cependant, cette fin suggère que le royaume d’Eric sera plus ouvert à la découverte et à l’acceptation de l’autre. Le fait que les humains soient désormais conscients de l’existence des habitants de la mer laisse entrevoir une possibilité d’unité, bien que des conflits puissent survenir dans le futur.
En somme, Ariel a réussi à obtenir sa liberté et à réaliser son désir d’autonomie, tout en unissant les mondes terrestre et marin grâce à son amour avec Eric. Cette fin offre une perspective d’espoir et de compréhension mutuelle entre les différentes communautés, laissant présager un avenir où la paix et l’harmonie pourraient prévaloir.
