SUCCESSION SAISON 4 | Critique et explication de la fin

La série télévisée « Succession » de Jesse Armstrong a révolutionné le paysage des séries télévisées au cours de ses quatre saisons, transformant en profondeur la façon dont les histoires sont racontées.

Pourquoi diable serait-on captivé par un groupe de milliardaires capricieux, méprisables et profondément détestables ? Cette question était sur toutes les lèvres à l’été 2018, lorsque la série Succession a fait ses débuts sur HBO (OCS en France), révélant le patriarche Logan Roy et ses quatre enfants : Connor, Kendall, Shiv et Roman, chacun avec ses failles et ses démons…

Cinq ans plus tard, plus personne ne se pose cette question. Ces personnages sont indéniablement odieux, bien sûr ! Mais ils sont également pathétiques, attachants… et surtout fascinants. Le final implacable de la série, un épisode de 1h30 vient clore brillamment quatre saisons d’une perfection dramatique rare. Comme Twin Peaks (la première « série d’auteur »), Les Sopranos, Breaking Bad et quelques autres, Succession a changé la donne.

Comment ? En créant un mélange détonant des genres. Waystar Royco, le conglomérat médiatique dirigé par Logan Roy dans Succession, est une multinationale qui englobe une chaîne d’information, de nombreux journaux, un studio de cinéma, ainsi que des parcs d’attractions, des bateaux de croisière et même une entreprise spatiale qui lance des satellites dans l’espace…

De manière similaire, Succession est un monstre à plusieurs facettes, combinant drame familial, comédie satirique, soap opera et thriller financier. Cette ambition monstrueuse est ce qui rend la série si singulière, puisant à la fois dans les tabloïds et dans l’univers de Shakespeare. Un mélange qui reflète son origine très britannique… On oublie parfois que Succession, dont le principal cadre est New York, est l’œuvre du « showrunner » britannique Jesse Armstrong.

Le roman selon Stendhal est décrit comme un « miroir que l’on promène le long d’un chemin », et la série selon Armstrong est un miroir tendu à Rupert Murdoch. Le titre de travail de Succession était Murdoch, et selon la rumeur, James, le plus jeune fils de Rupert qui a quitté NewsCorp en 2020 et a publiquement pris ses distances avec les positions climatosceptiques de son père, aurait été l’un des informateurs confidentiels des scénaristes. On sait également, grâce au magazine américain Vanity Fair, que pour conclure un accord financier satisfaisant lors de son divorce avec Rupert Murdoch, le mannequin Jerry Hall a dû s’engager à ne jamais entrer en contact avec la production de la série…

Ainsi, Armstrong a puisé dans la réalité les éléments les plus marquants de son histoire, notamment le fait que Logan refuse de se considérer comme mortel et manipule ses enfants les uns contre les autres, dans le but de retarder la succession qu’il refuse d’organiser. Rupert Murdoch, âgé de 92 ans, est toujours bel et bien vivant et reste en première ligne dans la direction de son groupe. Bien sûr, on ne sait pas si sa fin sera aussi infamante que celle de Logan, qui s’effondre dans les toilettes de son avion privé dans l’épisode 3 de la saison 4, laissant ses enfants dans la tourmente…

Cependant, il est déjà évident que, tout comme son alter ego fictif, Rupert Murdoch a été soupçonné d’avoir épousé une espionne étrangère (Marcia Roy est libanaise, Wendi Deng Murdoch sino-américaine). En 2007, nous l’avons également vu acquérir le Wall Street Journal, fleuron de la famille Bancroft, en proposant une somme excessive par rapport à la valeur réelle du titre et en promettant de préserver son indépendance éditoriale totale. Cette méthode ressemble étrangement à celle utilisée par les Roy lorsqu’ils tentent d’acheter le groupe de presse ancré à gauche de la famille Pierce, une intrigue qui se déroule de la saison 2 à la saison 4 et reprend les grandes lignes de l’acquisition du prestigieux Journal.

De plus, l’intrigue de Succession s’inspire de l’actualité récente en mettant en lumière le rôle d’ATN (la chaîne de télévision des Roy, l’équivalent de Fox News chez les Murdoch) dans l’érosion de la démocratie américaine. Dans la saison 4, les partisans du candidat à la présidentielle Mencken, qui utilise un terme affectueux pour désigner Hitler, incendient un bureau de vote. ATN intervient alors en ignorant cette information et en déclarant le candidat vainqueur, influençant ainsi le résultat de l’élection. Cette intrigue est clairement inspirée de la contestation des résultats de la dernière élection présidentielle par Donald Trump et de l’attaque du Capitole perpétrée par ses partisans le 6 janvier 2021.

L’intrigue de Succession, tout comme celle du Roi Lear, tourne autour d’un souverain vieillissant qui se demande lequel de ses enfants mérite de prendre la tête de son empire après sa disparition. Les références à la source littéraire demeurent présentes tout au long de la série. Comme chez Shakespeare, on trouve un génie diabolique à la manière de Richard III (Logan Roy), des enfants en quête d’amour (Kendall, Roman et Shiv se disputant le rôle de Cordelia) et surtout un bouffon – Tom Wambsgans, le fiancé puis mari de Shiv Roy – qui finit par prendre le dessus.

Jesse Armstrong mêle habilement une perspective psychanalytique sur les traumatismes refoulés de ces enfants abandonnés qu’ont été Kendall, Shiv et Roman, et une emphase shakespearienne sur les insultes qu’ils échangent pour masquer leurs blessures. La langue de Succession… C’est sans doute ce qui restera le plus longtemps dans les mémoires et ce que l’on cherchera encore longtemps à imiter. Une langue vulgaire, imagée, chargée de références sexuelles utilisées tant pour l’injure que pour la métaphore. Cette langue révèle tout sur ces individus qui croient posséder le monde et aiment affirmer leur plaisir tout en dissimulant – très mal – un profond sentiment d’impuissance.

Succession est souvent drôle, grotesque, mélodramatique avec ses retournements de situation jusqu’au dernier épisode. C’est également une grande tragédie de l’amour qui ne sait ni se dire ni se donner. Lorsque Tom, aux côtés du mourant Logan, demande aux enfants de dire adieu à leur père, cet homme envahissant, dominateur et machiavélique qui les a tourmentés psychologiquement depuis leur enfance jusqu’à l’âge adulte, Roman ne sait que dire. « Tu as été un bon père », finit-il par balbutier. De l’autre côté du téléphone, c’est le silence… celui de l’éternité qui s’installe.

Cette fois-ci, la vérité éclate. Nous connaissons enfin le successeur de Logan Roy. Nous connaissons celui qui dirige désormais Waystar. Le final de Succession (disponible en France sur Prime Video via le Pass Warner) a offert une conclusion épique à quatre saisons brutales, au cœur d’une rivalité fraternelle insoluble… Attention, spoilers !

Dans le final de Succession, Shiv (Sarah Snook) découvre que Lukas Matsson (Alexander Skarsgård) n’a aucune intention de la nommer à la tête de Waystar une fois l’acquisition finalisée. Elle décide alors de changer de camp, de rejoindre ses frères et de soutenir Kendall afin de faire échouer la vente et permettre à la famille de conserver le contrôle. Cependant, lors de la réunion du conseil d’administration, Shiv change d’avis. Finalement, elle refuse de remettre les rênes à Ken, et c’est son mari, Tom Wambsgans (Matthew Macfadyen), qui devient le nouveau PDG du groupe. Tom devient ainsi le successeur de Succession !

Cette idée selon laquelle Tom pourrait être le successeur m’a traversé l’esprit il y a un certain temps maintenant. Je me suis dit que cela pourrait constituer une bonne fin pour la série », explique le créateur Jesse Armstrong dans une vidéo de HBO Max. Il justifie cette décision en ajoutant : « Même s’il n’est pas le monarque le plus puissant que l’on puisse rencontrer, son pouvoir provient de Matsson. Il est de ces personnes qui naviguent vers le sommet en servant ceux qui sont réellement puissants ».

Il est important de rappeler que plus tôt dans l’épisode, Shiv a malencontreusement trahi Tom en tentant de conserver son poste de directeur de la chaîne ATN. « Il est toujours prêt à lécher honnêtement la plus grosse botte du moment ». Matsson a donc vu en Tom la marionnette parfaite, convaincu notamment lors de leur dîner en tête-à-tête au restaurant, où Tom a laissé entendre qu’il pourrait accepter que sa femme couche avec Lukas… Le perdant de la famille, le gendre moqué, le beau-frère humilié, devient ainsi le patron !

Pourtant, quelques minutes plus tôt, tout semblait aller pour le mieux au sein de la fratrie. Un dénouement heureux semblait possible pour les Roy. Mark Mylod, le réalisateur, raconte la séquence « Meal for a king » dans la cuisine de leur mère, à la Barbade : « Les enfants Roy redeviennent des enfants. Peu importe l’argent. Tout semble alors possible… Mais en réalité, ce n’est pas le cas », analyse-t-il. « Parce que, selon moi, la série a toujours été une tragédie. Chaque moment d’espoir est donc particulièrement cruel, car on sait que tout va se détériorer par la suite. On attend le moment où cela va partir en vrille. Le moment où leur véritable nature refait surface et où ils vont de nouveau nous briser le cœur…

Ainsi, lors de ce dernier conseil d’administration, Ken, Shiv et Rom s’affrontent en dévoilant leurs vérités les plus profondes. « Nous sommes des imposteurs. Nous ne sommes rien du tout », résume le benjamin dans un moment de lucidité qui clôt le cercle et confirme les doutes de Logan depuis la saison 1 : ses enfants ne sont pas à sa hauteur. Ils n’ont pas son talent. Ce ne sont que des héritiers, des « fils de », dépourvus de toute réelle capacité. « Cette séquence de déchirement final au sein de la fratrie était inévitable, et dans toute tragédie, il y a ce drame qui semble inéluctable », explique Mark Mylod. « Ce moment révèle leur véritable nature, les conséquences de leur éducation et tout ce qui a conduit à cette douloureuse impasse. C’était parfaitement douloureux. »

Ken, Shiv et Rom n’ont plus que leurs richesses pour pleurer. C’est la fin. « J’ai réfléchi à toutes leurs histoires et en réalité, elles ne se terminent pas. Elles continuent. Mais c’est à ce moment précis que la série se désintéresse d’eux, car ils ont perdu ce qu’ils désiraient le plus : réussir, obtenir le prix que leur père leur a offert », explique Jesse Armstrong. Même Shiv, l’auteure de la trahison ultime, termine dans une sorte de « non-victoire, de non-défaite… Il semble que cela va être difficile pour elle et Tom de progresser émotionnellement, étant donné les mots qu’ils se sont échangés », conclut-il. Jusqu’au bout, Succession aura été un chemin de croix.

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