
Le mois d’octobre est consacré à la sensibilisation à la détection précoce du cancer du sein, une maladie à laquelle une femme sur neuf sera confrontée. Une prise en charge précoce offre de meilleures chances de guérison malgré les nombreuses difficultés que les femmes doivent surmonter tout au long de leur parcours. Brigitte Wézel, l’auteure du livre « Planète Cancer » répond à mes questions.
Le livre « Planète Cancer » vise à aider les femmes à mieux traverser cette épreuve. Brigitte Wézel souligne qu’il existe pratiquement autant de types de cancers que de femmes. Elle explique que l’inspiration pour écrire ce livre lui est venue au moment où elle a reçu son propre diagnostic de cancer. En tant que linguiste, elle est particulièrement sensible au pouvoir des mots, et elle a été submergée par l’anxiété associée aux termes utilisés dans le contexte du cancer. Elle ne voulait pas les prononcer.
Brigitte, pourriez-vous nous en dire un peu plus sur ce qui vous a incitée à écrire
« Planète Cancer » et sur ce que ce livre représente pour vous personnellement ?
Ce livre représente ma tendance naturelle dans la vie à faire d’une épreuve une
expérience teintée de beauté. J’ai eu la possibilité de pouvoir m’arrêter, et de
prendre soin de moi. De prendre soin de mon corps dans ses dimensions multiples
(physique, émotionnelle, énergétique et spirituelle). J’ai rencontré un grand nombre
de praticiens, médecins qui chacun.e à leur manière apportent leurs connaissances,
et soutiens aux personnes qui traversent un cancer. Dotée de ressources, liées à
mon métier d’enseignante de yoga et de coach, j’ai pu également puiser dans mes
ressources propres pour alléger la traversée. J’ai constaté que certaines pratiques
m’aidaient énormément à m’apaiser, à développer la confiance, à recharger mes
batteries.
Je me suis mise à griffonner des cahiers en me disant que ça pourra peut-être servir
à d’autres un jour.
J’ai eu envie en outre de proposer un ouvrage qui soit agréable à feuilleter. Les
effets secondaires des traitements sont parfois tellement intenses qu’il peut devenir
compliqué de lire un ouvrage classique de bout en bout. L’idée m’est donc venue
d’associer aux mots, des illustrations et du son.
Le titre de votre livre, « Planète Cancer », évoque un univers complexe et
mystérieux. Pourriez-vous expliquer comment vous avez vécu le passage de
l’annonce de votre propre diagnostic à la création de cet ouvrage ?
Dès l’annonce du diagnostic, dans le cabinet de la gynécologue, les mots qui
entourent le cancer me parviennent, m’envahissent et m’effraient. Mon envie
naturelle est de trier les mots, d’en garder certains, d’en questionner d’autres, jusqu’à
en transformer deux-trois. Un besoin en quelque sorte de soigner mes mots et
d’inviter mon entourage à soigner les leur. Car il n’y a pas une traversée unique :
chacun.e s’approprie cette épreuve de manière différente, en sélectionnant les
réalités qu’il ou elle va choisir d’investir durant toute la traversée. Et puis certaines
traversées ne sont qu’une parenthèse d’autres dureront plus longtemps.
Derrière chaque mot de l’abécédaire, il y a la découverte d’une réalité qui a teinté
particulièrement mon parcours ou celui d’autres contributeur.ices.
L’idée est venue un jour de partir du mot pour raconter ma traversée, en invitant une
quinzaine d’autres patientes à se joindre à moi dans cet exercice. Pour élargir
l’éventail de sujets touchant à la traversée d’un cancer, d’une maladie.
Il y a des thématiques très personnelles qui côtoient des sujets universels. Ecrire m’a
permis de revisiter cette traversée à la fin du parcours des traitements, et de m’offrir
le temps pour pouvoir «digérer », et in fine, transformer. Mon souhait était également
de partager, d’une manière créative (à partir d’un mot, d’une illustration, d’un son) les
pépites que j’avais glanées sur la route, et que cet ouvrage puisse devenir un
compagnon de route sur d’autres traversées.
Dans votre résumé, vous parlez de la manière dont vous avez dû trier et
comprendre les mots associés au cancer, qui semblaient venir d’un autre univers.
Pouvez-vous partager quelques-unes des étapes clés de cette compréhension et
comment elles ont influencé votre cheminement personnel ?
Comprendre est une des premières étapes vers l’acceptation. Oser poser des
questions sur les termes que je ne comprenais pas, saisir l’occasion pour en savoir
davantage sur le corps dans lequel j’habite m’a permis d’aller mieux à sa rencontre et
de pouvoir seule ou accompagnée le soutenir dans toutes ses dimensions.
En tant qu’enseignante de yoga, j’ai toujours été intéressée par le corps dans sa
multi-dimensionalité. La maladie qui me traversait n’était pas purement un symptôme
physique mais attirait mon attention sur une partie du corps, celle du sein et sur des
couches plus subtiles de mon être. Les effets secondaires des traitements touchaient
non seulement mon corps physique mais me vidait de mon énergie, me
bouleversaient dans mes pensées, faisait chavirer ma stabilité émotionnelle et mon
rapport à la vie, au monde. Je voulais alors accompagner toutes ces couches,
interconnectées, en moi.
Transformer certains mots comme tumeur, en tuvis ou en lésion, m’a juste permis de
prononcer des sons qui me nourrissaient, m’apaisaient. Le son a un impact sur notre
corps. Ecouter un morceau de musique peut changer en quelques secondes notre
état d’esprit, pourquoi pas nos mots ? Aller chaque semaine en élixirothérapie plutôt
qu’en chimiothérapie m’a permis de brancher mon mental et mes pensées sur le côté
salvateur des traitements.
Aujourd’hui, j’ai appris à mieux m’écouter, et savoir quand il est bon de m’arrêter. Je
suis également plus en lien avec mon intuition, j’ose mieux la suivre désormais, elle
m’aide à aller vers ce qui me nourrit plutôt que vers ce qui aurait tendance à me
détruire.
Vous évoquez également des mots qui expliquent, rassurent, et offrent des
astuces. Pourriez-vous nous donner un exemple de l’un de ces mots qui a été
particulièrement important pour vous dans votre parcours de traitement et de
résilience ?
« Densité mammaire ». Je n’avais jamais entendu parler de la densité des seins. Et
pourtant aujourd’hui les médecins s’accordent pour dire que la densité mammaire (un
certain type de densité) représente un facteur de risque dans le développement d’un
cancer du sein. Ce mot – là, j’aurais voulu l’entendre dans la bouche de mon
gynécologue il y a vingt-cinq ans.
« Féminité-Féminisme ». Les femmes subissent des injonctions de la société sur ce
qu’être femme, être féminine veut dire. Sur ce parcours, cela ne fait pas exception.
On devrait tout de suite acheter une perruque, couvrir notre crâne, redessiner des
sourcils. Tout au long de cette traversée, j’ai progressivement appris à entrer en
contact avec un autre type de beauté. J’ai appris et j’apprends encore à cultiver mon
estime de moi, à me célébrer, à nourrir plus d’amour envers moi-même, et dans ces
sillons, j’ai pu entrer en contact avec ma beauté, unique, vulnérable, sensible.
Le livre comprend « 101 pistes pour mieux vivre sa traversée ». Pouvez-vous
nous donner un aperçu de l’une de ces pistes qui vous a personnellement marquée
ou qui, selon vous, est particulièrement essentielle pour ceux qui font face au cancer
?
A côté du yoga que je pratiquais déjà, le shiatsu a été pour moi une révélation.
Toutes les 3 semaines, je m’allongeais sur la tatami en pleine confiance aux côtés de
la praticienne qui par des pressions le long de certains méridiens de mon corps
rechargeait mes batteries, stimulait l’énergie de certains organes éprouvés par les
traitements, travaillait sur les parties invisibles de mon être.
Ce rendez-vous, c’était un cadeau que je m’offrais pour retisser un lien avec mon
corps qui était la plupart du temps dans les mains d’un autre corps – celui du corps
médical.
Vous mentionnez que les mots dans votre livre sont des invitations à agir, sans
jugement. Comment avez-vous développé cette approche et en quoi est-elle
différente de celle que l’on trouve souvent dans la littérature sur la maladie ?
Le fait d’inviter, à plusieurs reprises, le lecteur, la lectrice à choisir ce qui lui
correspond, de l’encourager à se questionner sur son propre besoin unique. J’insiste
aussi dans l’ouvrage sur le fait qu’il ne s’agit pas de recettes à répliquer. Il appartient
à chacun, chacune de faire ce chemin vers soi. Ce n’est cependant pas une obligation pour autant.
Le format de l’abécédaire permet aussi de passer d’un mot à l’autre, de se pencher
sur ceux qui inspirent et laisser de côté ceux qui ne parlent pas. Les illustrations ont
leur propre langage : elles pourraient parler à certaines lecteurs, lectrices et les
emmener sur des pistes qui leurs sont uniques et personnelles.
Enfin, pouvez-vous nous parler de votre vision de la résilience dans le contexte
du cancer et de la façon dont votre livre peut aider les lecteurs à développer cette
qualité ?
Être résilient, ce n’est pas devenir illuminé, ou devenir Bouddha. Il ne s’agit jamais de
« réussir » son cancer.
Être résilient pour moi c’est entrer en résonance avec qui nous sommes
profondément et petit à petit apprendre à mettre son temps et son énergie dans ce
qui nous nourrit.
Pour moi qui m’épanouis notamment dans l’action, j’ai choisi d’agir pour me soulager,
pour alléger ma traversée. C’est ce que j’ai toujours fait. Transformer ce qui est
éprouvant en une occasion pour extraire la beauté. Je ne pouvais pas me contenter
d’attendre la prochaine séance d’élixirothérapie. Attendre que ça passe. Sur la
traversée du cancer, il y aussi beaucoup de lumière et de vie.
Comprendre, pour agir et créer m’a donné de l’énergie et a contribué à créer en
quelque sorte mes ressorts internes dans l’épreuve.
Au cœur de la notion de résilience, il y a la confiance. Confiance en nos ressources,
en notre capacité de faire de chaque épreuve un chemin vers une meilleure
connaissance de soi, en osant prendre sa place, puiser dans nos innombrables
ressources, mais aussi poser nos limites, et faire aveu de vulnérabilité en demandant
de l’aide. Ce dernier n’est pas aisé pour moi, je le travaille tous les jours.
Cet ouvrage selon moi ouvre des portes multiples et met en lumière des pratiques,
une vision de la santé, d’innombrables idées dont pourrait se saisir le lecteur, la
lectrice sur sa propre traversée.
