On ne parle pas de ces choses-là de Alexandra Petit (Dessins), Marine Courtade (Rédacteur)

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Le tabou des tabous. La journaliste Marine Courtade décortique les mécanismes de silence autour de l’inceste.

Dans On ne parle pas de ces choses-là, Marine Courtade, journaliste engagée, s’attaque à un sujet délicat et douloureux : l’inceste. Mais elle ne se contente pas de décortiquer ce tabou omniprésent ; elle choisit de l’explorer à travers une perspective personnelle et intime, en plongeant dans son propre passé familial. Ce livre n’est pas un simple reportage ou une enquête journalistique classique, mais une véritable quête, une exploration du silence qui entoure l’inceste et des mécanismes qui le préservent dans l’ombre.

Le projet de Marine Courtade est audacieux et particulièrement dérangeant, à la fois pour l’autrice et pour ses proches. En partant sur les routes de France, elle décide de confronter ses oncles et tantes à une question simple, mais profondément perturbante : pourquoi se sont-ils tus ? Pourquoi, au sein de sa propre famille, la violence et l’abus ont été niés, étouffés et dissimulés ? Ce tour de France, qui pourrait paraître provocateur, devient une exploration à la fois intime et sociale du silence, du déni et du poids de l’héritage familial.

Ce qui frappe d’emblée dans On ne parle pas de ces choses-là, c’est le mélange de rigueur journalistique et de dérision subtile que l’autrice adopte. À travers des témoignages glaçants et parfois dérangeants, elle parvient à exposer la réalité crue de l’inceste, sans jamais verser dans le voyeurisme. Elle garde une distance nécessaire tout en naviguant dans le dédale de son propre passé, un équilibre fragile qui fait tout le sel de cette enquête. En interrogeant ses proches, elle met en lumière la manière dont le silence familial devient une chape de plomb, un mur invisible mais terriblement présent.

Les dessins d’Alexandra Petit apportent une dimension visuelle forte à ce récit. Leur traitement épuré et parfois presque minimaliste sert à renforcer la froideur du silence et la violence sous-jacente qui imprègne ces conversations. Parfois, le dessin fait écho aux mots, parfois il les complète, amplifie l’émotion ou l’absurdité de certaines réponses. Ce jeu entre texte et illustration accentue le paradoxe central du livre : l’horreur cachée derrière une façade de normalité. Les personnages dessinnés sont souvent réduits à des silhouettes anonymes, presque fantomatiques, ce qui permet de maintenir une distance émotionnelle tout en plongeant le lecteur dans un univers où l’indicible semble suspendu dans l’air.

Ce qui rend ce livre particulièrement puissant, c’est la manière dont il déconstruit le tabou de l’inceste, non seulement à travers l’enquête, mais aussi par la construction de l’introspection personnelle. À chaque étape du voyage, l’autrice se confronte à ses propres blessures et aux complices passifs de ce silence. Elle donne la parole à ceux qui l’ont perpetué, mais aussi, et surtout, à ceux qui ont souffert de ce silence. La question qui revient sans cesse dans le livre – pourquoi vous êtes-vous tus ? – n’est pas seulement celle de l’indifférence ou du déni, mais aussi celle de la culpabilité, de la peur, et des mécanismes sociaux et psychologiques qui rendent ce silence presque inébranlable.

Marine Courtade ne cherche pas seulement à dénoncer ; elle veut comprendre. Comprendre pourquoi, dans des familles comme la sienne, les victimes sont réduites à des ombres et les agresseurs parfois considérés comme des membres respectés de la communauté. L’ouvrage met en lumière le poids des non-dits, l’impact destructeur d’un secret familial qui finit par infecter les relations et détruire la possibilité même d’une vie saine et épanouie. Les entretiens avec ses oncles et tantes, souvent tendus et chargés d’émotions, ne livrent pas toutes les réponses, mais chaque réponse, chaque silence, révèle davantage que de simples mots.

Ce livre est avant tout un cri. Un cri contre le tabou le plus intime et le plus silencieux. L’inceste, un mot trop souvent murmuré, chuchoté à demi-mots, reste une vérité difficile à affronter, même lorsqu’elle se cache au sein de la famille. Marine Courtade réussit à percer ce silence avec une persévérance rare, tout en respectant la dignité des victimes et des témoins. On ne parle pas de ces choses-là n’est pas seulement un livre sur l’inceste, mais sur le poids du silence et l’urgence de le briser.

Le travail de Courtade nous rappelle l’importance de lever le voile sur des réalités cachées, et l’importance de comprendre, d’écouter et de parler, même quand la vérité est insupportable. Il est aussi une invitation à la réflexion collective : combien de familles partagent ces secrets enfouis ? Combien de souffrances restent invisibles à force de silence ?

À travers cette enquête courageuse et cette introspection bouleversante, On ne parle pas de ces choses-là devient bien plus qu’un livre. C’est un acte de résistance, un acte de parole libératrice. Il n’y a pas de meilleure manière de lutter contre l’inceste que de briser le silence qui l’entoure. Et Marine Courtade, avec une plume acérée et un regard sans concession, nous le montre de manière poignante.

Éditeur ‏ : ‎ CASTERMAN; Illustrated édition (2 avril 2025) Langue ‏ : ‎ Français Relié ‏ : ‎ 224 pages ISBN-10 ‏ : ‎ 2203292873 ISBN-13 ‏ : ‎ 978-2203292871

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