Avis sur la pièce de théâtre : Je m’appelle Adèle Bloom – L’intime brûlure de l’enfermement

Avec Armelle Deutsch, Sophie-Anne Lecesne, Laura Elko, Philippe d’Avilla ou Franck Harscouët​

Dans l’ombre glaciale d’un hôpital psychiatrique canadien de l’après-guerre, Je m’appelle Adèle Bloom nous plonge dans un huis clos troublant où la folie n’est plus une échappée, mais un territoire conquis, balisé, mutilé. Sous la plume acérée et poétique de Franck Harscouët, cette pièce bouleversante dévoile les contours violents d’une époque où l’on « soignait » à coups de lobotomies transorbitales et de sentences médicales totalitaires.

Placée par sa mère, Adèle Bloom, jeune postière et autrice en devenir, se retrouve projetée dans un monde suspendu où l’écriture devient sa dernière boussole. Face à Miss Wilbord, infirmière en chef tyrannique, et au docteur Freeman, tortionnaire au scalpel idéologique, Adèle lutte pour ne pas sombrer. Une amitié fragile avec Poppie, internée depuis longtemps, vient troubler ce cauchemar éveillé d’une humanité à bout de souffle.

La mise en scène volontairement cloisonnée, presque statique, accentue cette sensation d’étouffement collectif. Les corps semblent figés dans une prison mentale saturée d’angoisses, où les murs ne protègent rien, sinon l’orgueil aveugle d’un corps médical qui se prend pour Dieu.

Mais c’est surtout le jeu habité des comédiens qui saisit :
Armelle Deutsch, incandescente, campe une Adèle qui se délite tout en s’accrochant désespérément à ses mots comme à un radeau ;
Sophie-Anne Lecesne, caméléon de l’ombre, traverse les figures maternelles et soignantes avec une intensité troublante ;
Philippe d’Avilla incarne un médecin à la séduction glaçante, dont les élans visionnaires masquent la cruauté clinique ;
– et Laura Elko, tout en douceur, redonne un souffle poétique à cette tragédie grâce à sa marionnette complice.

Je m’appelle Adèle Bloom est plus qu’un spectacle : c’est une fable noire, documentée, portée par une langue précise et viscérale. Harscouët ne décrit pas seulement l’horreur : il la fait ressentir, dans toute son absurdité, sa violence et ses résonances contemporaines. Car au-delà du cadre historique, c’est bien d’un système que l’on parle — d’un regard sur les femmes, sur les déviantes, sur les rêveuses — que l’on a voulu corriger à coup de piques à glace et de sourires forcés.

On en ressort bouleversé, presque hanté, avec l’étrange impression d’avoir lu un roman à haute voix dans une salle d’audience silencieuse.

Un spectacle à vif, nécessaire, terriblement humain.

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