Indochine en apesanteur à l’Accor Arena

En quelques secondes, la salle se transforme en constellation mouvante. Ce n’est pas (encore) la musique qui vibre, mais 40 000 poignets lumineux, reliés à un dispositif scénique d’une rare ambition. Le ciel se couvre d’étoiles artificielles, la terre se met à battre en lumière. C’est le début d’un voyage sidéral et viscéral, la promesse tenue d’un groupe qui, quarante-deux ans après ses débuts, continue de repousser les limites de ce que peut être un concert de rock.

Une entrée dans l’intimité du gigantisme

Annoncée comme une expérience totale, la nouvelle tournée d’Indochine, baptisée sobrement Arena Tour, a débuté à Paris dans un Bercy transformé. La scène principale – baptisée “A” – s’ouvre sur “Showtime”, titre électro-rock syncopé qui évoque Depeche Mode. Les bracelets clignotent au rythme des basses, la foule pulse, la frontière entre public et spectacle se brouille. C’est l’une des forces de cette mise en scène : abolir la frontalité, jouer avec l’espace et les émotions.

Trois scènes, réparties dans la salle (A, B, C), permettent au groupe de se déplacer et de jouer au plus près des spectateurs. Une façon de remettre du lien humain au cœur de la machine scénique, et de faire de cette arène un lieu de proximité malgré les dimensions.

Entre messages politiques et émotions universelles

Indochine n’a jamais été un groupe neutre. Ce concert le rappelle avec force, sans jamais tomber dans le manifeste. Dès “Victoria”, le visage de Volodymyr Zelensky apparaît, suivi d’un cortège d’instrumentistes en uniforme militaire, jouant de la trompette. Puis, sur “Sanna sur la croix”, la mémoire de l’ex-Première ministre finlandaise Sanna Marin est convoquée avec un visuel fort : son visage bâillonné ou enserré dans une croix lumineuse. Le concert devient tribune visuelle, sans jamais interrompre le flux musical.

Chaque séquence est ciselée. “Annabelle Lee”, “Seul au paradis”, puis “No Name” – titre inédit joué pour la première fois en tournée, tiré de Babel Babel, l’album de 2024 – offrent un passage intense, entre noirceur poétique et énergie rock. La musique épouse l’image, l’émotion devient globale.

Nicola Sirkis, figure magnétique et fragile

Ce qui impressionne chez Indochine, c’est la constance d’un charisme sans ostentation. Nicola Sirkis, toujours vêtu de noir, ne surjoue rien. Il observe, il écoute, il habite l’instant. Sa voix, plus éraillée, parfois posée comme un murmure, tranche avec la puissance des visuels. Il est le fil rouge d’un récit collectif, le médium d’une émotion partagée avec plusieurs générations de fans.

Lorsqu’il traverse la salle pour rejoindre la scène B, la foule se scinde en deux comme la mer Rouge. Là, s’enchaînent sans répit “Salômbo”, “Electrastar”, “Canary Bay”, “Un été français”, “Punker”… Un bloc rock pur jus, parfaitement calibré, qui ressuscite l’énergie adolescente et la rage poétique des années 2000.

Une avalanche de classiques, entre euphorie et apesanteur

La dernière partie du concert tient de la célébration collective. Le public, déjà conquis, exulte sur “Miss Paramount”, “J’ai demandé à la lune”, “Alice & June” – une séquence euphorique, construite comme une montée en puissance. Puis vient “La vie est à nous”, dans un final incandescent qui semble suspendre le temps.

Mais le plus beau moment du concert n’est peut-être pas celui qu’on attendait. Lors du rappel acoustique, entre les scènes B et C, Nicola Sirkis revient seul ou presque. Lumière douce, guitare sèche, et quelques minutes suspendues sur “Kao Bang”, “La vie est belle”, “Tes yeux noirs”. Un moment d’apesanteur absolue, où 20 000 personnes retiennent leur souffle.

Le second rappel réinstalle la grandeur : “Station 13”, “Des fleurs pour Salinger”, puis “Trois nuits par semaine”. Enfin, le groupe remonte sur la scène A pour l’apothéose : “L’aventurier”, transformé en hymne générationnel, suivi d’un dernier clin d’œil avec “En route vers le futur”, comme une promesse tenue au public fidèle.

Un groupe au sommet de son art

Ce qu’Indochine prouve encore, c’est que la longévité ne se résume pas à l’endurance. Elle peut être synonyme de renouvellement, de prises de risque, d’invention scénique. Loin d’une tournée best-of, ce concert est une œuvre à part entière : narrative, visuelle, politique, musicale. Elle parle à tous les âges, à toutes les mémoires.

Indochine confirme son statut d’icône vivante de la scène hexagonale, capable d’inventer une nouvelle forme de rituel collectif à chaque tournée.

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