Interview : Chacma, l’ingénieur devenu scénariste BD

Charles-Louis Detournay, alias Chacma, est ingénieur, journaliste, scénariste et figure discrète mais incontournable du neuvième art. À l’occasion de la sortie du second tome de la série Deuxième Bureau, il revient sur son parcours atypique.

Parcours et impulsions

Vous êtes passé d’ingénieur industriel à journaliste BD, puis à scénariste – quelle impulsion vous a poussé à franchir ces transitions ?

En soi, je n’ai pas vraiment arrêté ces différentes activités, mais je pense qu’elles s’inscrivent dans un processus naturel pour ma part : j’ai toujours aimé raconter des histoires, appréciant les effets qu’elles pouvaient produire, sur les autres ou sur moi-même. Il faut parfois du temps et différentes étapes pour atteindre un objectif, et le plus court chemin n’est pas toujours le plus efficace 😉

Votre formation scientifique influence-t-elle encore votre approche de la narration ou vos choix thématiques ?

Parfois, lorsque je m’attèle à des sujets qui demandent plus de recherches. J’ai besoin de comprendre une thématique afin de pouvoir ensuite identifier ce que je pourrais utiliser ou au contraire laisser tomber. D’un autre côté, il m’arrive d’écrire sur des éléments qui n’ont absolument rien de scientifique. J’essaie surtout de travailler sur ce qui me passionne, car je me dis que cet intérêt devra transparaître dans le récit. Puis si cela a aiguisé ma curiosité, j’espère qu’il en sera de même pour la lectrice ou le lecteur.

De la critique à l’écriture

Vous êtes arrivé à la bande dessinée via ActuaBD – qu’avez-vous appris de cette immersion ?

En tant que journaliste, j’essaie toujours de me mettre à la fois à la place du lecteur puis de l’auteur pour appréhender un récit, ce qui me pousse souvent à poser des questions assez précises aux artistes par le biais de l’interview. Il ne s’agit pas vraiment de secrets, car ils en livrent beaucoup plus lors des masterclasses, mais je suis certain que m’être ainsi projeté a influencé ma manière d’écrire.

Sous le pseudonyme Chacma, vous avez coscénarisé des albums très variés. Comment choisissez-vous vos projets ?

Par affinité au niveau de la collaboration ! Réaliser un album de bande dessinée nécessite beaucoup de temps et d’énergie, et je pense qu’il faut donc avant tout qu’une bonne relation se construise, doublée d’une véritable connivence. Mon style va alors s’adapter à celui du reste de l’équipe, afin que l’ensemble soit avant tout cohérent. Je ne cherche pas à travailler sur un registre, mais à m’impliquer dans un projet pourvu que je le réalise avec de belles personnes.

Deuxième Bureau : espionnage et Histoire

Qu’est-ce qui vous a attiré dans la période de 1936 et le sujet du magnétron ?

On m’a proposé il y a près de dix ans de scénariser la suite d’une série historique… Cette suite ne s’est jamais concrétisée, mais l’ensemble était suffisamment pertinent pour en faire une série en elle-même. C’est là que Brice Goepfert est entré dans la danse : Deuxième Bureau était né !

Comment collaborez-vous avec Brice Goepfert et Fabien Blanchot ?

Je découpe d’abord le récit en séquences… Ensuite, j’écris les séquences au fil du dessin de Brice, ce qui permet d’adapter ou de renforcer certains aspects selon ce qu’il propose visuellement. Avec Fabien, je résume le scénario en gardant l’essentiel des intentions et émotions, tout en suggérant quelques idées de couleurs, sans jamais imposer.

Pourquoi ajoutez-vous des dossiers documentaires en fin d’album ?

Je pense que l’Histoire a énormément à nous apprendre, mais je ne veux pas qu’elle alourdisse le récit. Le dossier permet à celles et ceux qui le souhaitent d’approfondir leur lecture, sans obligation. Cela donne une seconde vie à l’album et éclaire certains choix narratifs.

Maryse Maréchal, pilote et espionne, est une héroïne dans un univers très masculin. Pourquoi ce choix ?

La série originelle devait déjà mettre une femme au centre. J’ai poursuivi ce choix, car cela me permettait de construire un personnage plus subtil, plus complexe. Les femmes ont souvent une approche moins manichéenne, et cela enrichit la narration, notamment dans un contexte de guerre et de compromissions comme celui de 1936.

Comment avez-vous intégré les enjeux politiques sans alourdir le récit ?

J’associe le niveau de connaissance historique du lecteur à celui de mon héroïne : elle découvre, doute, et interroge. J’évite les exposés trop lourds, préférant faire émerger les tensions et enjeux au travers d’actions concrètes et de dialogues. Je m’appuie aussi sur des faits réels souvent méconnus pour interpeller le lecteur, comme la présence de la Légion Condor dans la guerre d’Espagne ou des citations véridiques d’Hitler.

Éclectisme et engagement

Vous alternez entre récits légers et plus sérieux. Est-ce un besoin d’équilibre ?

Oui, je ne peux travailler que sur un projet qui me passionne. Et heureusement, j’ai des centres d’intérêt variés ! L’humour, la science, l’Histoire, l’espionnage… Ce sont autant de portes vers des récits capables de surprendre le lecteur.

Vos travaux documentaires sur d’autres auteurs nourrissent-ils vos scénarios ?

Pas vraiment. Cela m’encourage parfois, car je découvre qu’eux aussi ont connu le doute ou les obstacles. Mais ce n’est pas une matière directe pour mes scénarios.

Quelle place pour la BD historique aujourd’hui ?

Elle reste essentielle. Accessible, populaire et documentée, elle permet de transmettre notre passé autrement. Dans les musées, on la retrouve de plus en plus comme outil pédagogique. Elle permet aussi de nous interroger sur qui nous sommes, et sur ce que nous voulons (ou ne voulons pas) répéter.

Intimité et réception

Comment conciliez-vous votre métier et votre vie de famille ?

Mon fils étant en situation de handicap, je reste souvent à la maison. Le scénario est une activité qui se prête bien à cette organisation souple. J’écris tôt le matin, tard le soir, entre deux soins ou activités. Mon espace de travail est au cœur de la maison, ce qui facilite les choses.

Quels retours avez-vous eus sur Deuxième Bureau ?

Les lecteurs y trouvent des choses différentes : de l’Histoire, de la technique, de l’émotion, de la réflexion. C’est très gratifiant de voir que chacun s’approprie l’histoire à sa manière, selon ses valeurs ou son vécu.

Quels sont vos projets ?

Si les ventes du tome 2 le permettent, nous prolongerons la série. En attendant, je travaille sur un autre scénario historique et un nouveau projet avec Brice Goepfert. Nous aimons beaucoup collaborer, donc l’aventure continue !

📚 Deuxième Bureau – Scénario : Chacma · Dessin : Brice Goepfert · Couleurs : Fabien Blanchot

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