Entretien avec Aurélie Wellenstein : écrire pour incarner les ténèbres et rallumer la lumière

Depuis ses débuts, Aurélie Wellenstein bâtit une œuvre singulière, tissée de cauchemars fantastiques, de figures animales et de personnages en quête de rédemption. Rencontre avec une autrice pour qui l’imaginaire est un miroir tendu à nos parts les plus sombres… et les plus lumineuses.

L’attirance pour l’ombre

Vos romans sont souvent traversés par une atmosphère sombre, presque suffocante. Qu’est-ce qui vous attire dans ces zones d’ombre de l’âme humaine ?
C’est assez curieux, parce que je n’ai pas de réponse claire à cette question. J’ai le sentiment que beaucoup de choses s’enracinent dans l’enfance. Très tôt, j’éprouvais de l’empathie pour les anti-héros, je cherchais à comprendre les antagonistes, même dans des œuvres très manichéennes. Ce qui me fascinait, c’était les récits borderline, surtout ceux qui m’échappaient. Et puis, j’ai cette appétence pour le sombre, qui me vient naturellement. Je ne la contrôle pas. J’ai d’ailleurs constaté que c’était assez partagé parmi les auteurs de dark fantasy.


Un univers cohérent, hanté et viscéral

Depuis Le Roi des Fauves, vous développez un univers singulier. Quel en est, selon vous, le fil conducteur ?
Je suis partie de ce que j’appelais les « devenir-démon », des trajectoires de chute. J’aime cette idée de « voix de l’ombre », ce petit murmure sombre et dissonant dans nos têtes. Un temps, j’ai vu l’écriture comme un exorcisme. Aujourd’hui, je considère que je n’exorcise plus mes démons, je les incarne. Je les fais passer dans notre monde.


Métamorphoses et douleurs du corps

Le corps, la douleur, la transformation sont récurrents dans vos romans. Pourquoi cette fascination ?
Ça remonte au mythe du loup-garou. J’aurais adoré me transformer en loup à la pleine lune. Presque tous mes romans parlent de cette métamorphose, que j’ai fait évoluer pour ne pas me répéter. Le Roi des fauves, par exemple, devait au départ mettre en scène des personnages qui deviennent tous des loups. Souvent, je me dis en écrivant : « arrête avec tes loups ! » et l’histoire bifurque.


Animalité et empathie

L’animal est omniprésent dans vos livres. Pourquoi ?
Il y a un aspect symbolique, totemique. Mais surtout, il y a une volonté militante : en incarnant les animaux, la fiction permet au lecteur de les voir comme des individus, avec des émotions, un passé. Cela favorise l’empathie. L’émotion est un levier puissant pour défendre la cause animale.


Des héros cabossés

Vos personnages ne sont pas des héros classiques… Pourquoi ce choix ?
Je trouve plus intéressant de suivre des personnages blessés, borderline, porteurs de traumatismes. Cela dit, j’explore aussi des figures plus « héroïques ». Nathanaël (La Fille du Feu), Kabalraï (Le Désert des couleurs), ou Isaiah, le héros de mon prochain roman, sont tous porteurs d’une force positive tournée vers les autres. J’aime aussi raconter des « gentils ».


Évolution de l’œuvre

Avez-vous l’impression d’avoir affiné ou radicalisé vos thématiques ?
Je cherche toujours le bon axe pour défendre la cause animale. Blé noir était frontal, presque trop. Mers mortes a mieux fonctionné car j’ai adopté le point de vue des animaux. J’ai repris cette idée dans La Fille du feu. Mon prochain roman, Isaiah, me semble incarner plus profondément encore la rage qui m’habite depuis l’enfance… même si je suis encore trop plongée dedans pour être objective.


Une fiction réparatrice

La Fille du Feu semble plus lumineuse. D’où vient ce virage ?
Je voulais écrire une fiction « réparatrice », à l’opposé du destructeur Roi des fauves. La Fille du feu met en scène un personnage moralement aligné, incapable de fermer les yeux sur la souffrance, agissant sans cynisme. Ce qui le rend vulnérable, mais profondément humain.


Le choc originel

Quelle image a déclenché l’écriture de La Fille du Feu ?
Les incendies en Australie. Ces koalas brûlés qui sortaient des forêts dévastées m’ont bouleversée. Ces scènes mêlaient compassion et horreur. Le roman cherche à incarner cette double dimension, traumatique et solidaire.


Une œuvre en écho permanent

Ce roman vous paraît-il plus intime que les précédents ?
Pas nécessairement. On met toujours de soi dans un texte. Certains romans contiennent des éléments vécus, méconnaissables car fondus dans la fiction. Pas La Fille du feu. Mais c’est un texte très habité, comme tous les autres.

S’inscrit-il dans un dialogue avec vos œuvres passées ?
Oui. Mes romans se donnent la main. Chaque livre laisse une trace dans le suivant. La Fille du feu est aussi la reconstruction d’un roman précédent, refusé par tous les éditeurs car trop radical.


L’image comme point de départ

Qu’est-ce qui déclenche un roman chez vous ?
Souvent une image forte, un concept visuel. Une mer fantôme, un désert qui efface la mémoire, un enfant dans l’œil d’un cerf… Cela commence flou, comme une vision dans une boule de cristal, puis l’image prend forme.


Une fin, pour frapper juste

Vous apportez un soin particulier à vos fins. Que doivent-elles produire selon vous ?
Je veux que ça choque, que ça marque. Pas nécessairement un twist, mais une fin forte. Je crois qu’on se souvient plus d’un roman moyen avec une bonne fin que d’un excellent roman à la fin faible. Je ne prévois jamais mes fins à l’avance : je les laisse surgir.


Pour découvrir votre univers…

Quel roman conseilleriez-vous à un nouveau lecteur ?
S’il lit déjà de l’imaginaire : L’Épée, la Famine et la Peste.
Sinon : Mers mortes ou Le Désert des couleurs, selon sa sensibilité au sombre.


Vos sources d’inspiration ?

Stephen King, Jack London, Serge Brussolo pour l’imaginaire.
David Lynch pour l’onirisme.
Le peintre Zdzislaw Beksinski.
Les jeux From Software pour la dark fantasy.
Et aussi… les shonen ! Naruto, Bleach, Jujutsu Kaisen, Demon Slayer. Et bien sûr, Berserk.


Une flamme d’espoir

Que souhaitez-vous que le lecteur ressente en refermant La Fille du Feu ?
Une émotion douce. Une chaleur lumineuse — pas celle des flammes, mais celle de l’espoir.

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