Disponible sur Netflix, Propre (Limpia en version originale) est un drame espagnol aussi délicat que déchirant. Le film suit Estela, une femme de ménage originaire de Chiloé, employée par les Jensen, une famille aisée de Santiago.
Sous ses airs discrets, le film dévoile une tragédie intime, sociale et morale : celle d’un amour maternel impossible, brisé par les barrières de classe.
Un lien plus fort que le sang
Estela s’occupe de la jeune Julia, une fillette vive et sensible, beaucoup plus proche d’elle que de ses propres parents, Mara et Cristobal, constamment absents. Entre les deux femmes naît une complicité rare : tendresse, confiance, et une forme d’amour pur, presque filial.
Mais cette relation repose sur un équilibre fragile — celui d’une affection née dans la dépendance et les hiérarchies invisibles du quotidien.
Au fil du film, Estela devient le seul repère émotionnel de Julia. C’est elle qui la rassure, qui la nourrit, qui la comprend. Et c’est elle, surtout, qui la protège des manques affectifs de ses parents. Jusqu’au jour où tout s’effondre.
La rupture : Estela choisit de partir
À la fin de Propre, sur les conseils de son amie Mara, Estela décide de quitter la maison.
Fatiguée, humiliée, et déchirée par la culpabilité de délaisser sa propre mère malade pour s’occuper d’une famille qui ne la respecte pas, elle fait ses valises.
Elle salue Carlos, puis se rend à la gare routière. Le bus démarre — symbole d’un départ, peut-être d’une renaissance.
Mais alors que le véhicule s’apprête à quitter la station, Estela reçoit un appel d’Ivan, le gardien. Elle descend, immobile sous la pluie.
La caméra s’attarde sur son visage silencieux. Puis, une image-choc : Julia saute dans le lac Caburgua… et s’enfonce lentement sous l’eau.
La mort de Julia n’est jamais explicitement montrée, mais tout indique qu’elle s’est suicidée.
Pourquoi Julia s’est-elle tuée ?
La réponse, aussi simple que tragique, tient en une phrase : Estela était la seule à l’aimer vraiment.
Julia vivait dans une solitude affective totale. Ses parents, préoccupés par leur image et leurs obligations sociales, la traitaient comme une tâche parmi d’autres. Estela, elle, lui donnait une présence, une écoute, une chaleur que l’enfant n’avait jamais connue.
Son départ, pour Julia, équivalait à un abandon absolu. Incapable de comprendre que cette séparation n’était pas un choix de cœur mais une nécessité, elle a préféré mettre fin à ses jours — geste d’une innocence désespérée, et miroir cruel de la distance sociale entre les deux femmes.
Un drame social avant tout
Si Propre bouleverse autant, c’est parce qu’il dépasse le cadre du drame intime. Le film expose avec une précision glaçante la violence silencieuse des rapports de classe.
Mara et Cristobal incarnent cette élite polie mais déshumanisée, pour qui l’affection d’Estela n’est qu’un service de plus à consommer.
La scène où Mara humilie Estela après que cette dernière a emmené Julia chez le médecin en moto résume tout : ce n’est pas la sécurité de sa fille qui la choque, mais le fait qu’une employée ait osé agir comme une mère.
L’amour d’Estela devient une menace, car il rappelle aux Jensen leur propre vide émotionnel.
Un poids que seule Estela portera
À la fin de Propre, Estela n’est pas seulement une victime — elle devient le témoin vivant d’une faute collective.
Elle sait que Julia est morte, même si personne ne le dit. Et elle portera cette culpabilité comme un fardeau : celui d’avoir voulu aimer au-delà de sa place, dans un monde où la tendresse a des frontières.
Le plus cruel, c’est que Mara transforme cette tragédie en accusation, faisant d’Estela le bouc émissaire idéal.
Ainsi, la mort de Julia ne punit pas seulement la négligence parentale : elle révèle la fracture morale d’une société où l’amour est hiérarchisé.
La morale de la fin de Propre
Propre se termine sur un silence, celui d’Estela sous la pluie.
C’est une fin ouverte, mais d’une puissance rare : elle nous laisse face à une femme brisée, partagée entre la douleur et la libération.
Estela ne reverra jamais Julia, mais peut-être comprendra-t-elle enfin qu’elle n’a rien à se reprocher.
Son départ n’était pas une trahison, mais un acte de survie.
Et dans ce geste, aussi simple que déchirant, réside toute la beauté du film : celle d’une femme qui ose enfin s’appartenir.
