Avis sur la pièce de théâtre : Je m’appelle Adèle Bloom – L’intime brûlure de l’enfermement

Avec Armelle Deutsch, Sophie-Anne Lecesne, Laura Elko, Philippe d’Avilla ou Franck Harscouët​

Dans l’ombre glaciale d’un hôpital psychiatrique canadien de l’après-guerre, Je m’appelle Adèle Bloom nous plonge dans un huis clos troublant où la folie n’est plus une échappée, mais un territoire conquis, balisé, mutilé. Sous la plume acérée et poétique de Franck Harscouët, cette pièce bouleversante dévoile les contours violents d’une époque où l’on « soignait » à coups de lobotomies transorbitales et de sentences médicales totalitaires.

Placée par sa mère, Adèle Bloom, jeune postière et autrice en devenir, se retrouve projetée dans un monde suspendu où l’écriture devient sa dernière boussole. Face à Miss Wilbord, infirmière en chef tyrannique, et au docteur Freeman, tortionnaire au scalpel idéologique, Adèle lutte pour ne pas sombrer. Une amitié fragile avec Poppie, internée depuis longtemps, vient troubler ce cauchemar éveillé d’une humanité à bout de souffle.

La mise en scène volontairement cloisonnée, presque statique, accentue cette sensation d’étouffement collectif. Les corps semblent figés dans une prison mentale saturée d’angoisses, où les murs ne protègent rien, sinon l’orgueil aveugle d’un corps médical qui se prend pour Dieu.

Mais c’est surtout le jeu habité des comédiens qui saisit :
Armelle Deutsch, incandescente, campe une Adèle qui se délite tout en s’accrochant désespérément à ses mots comme à un radeau ;
Sophie-Anne Lecesne, caméléon de l’ombre, traverse les figures maternelles et soignantes avec une intensité troublante ;
Philippe d’Avilla incarne un médecin à la séduction glaçante, dont les élans visionnaires masquent la cruauté clinique ;
– et Laura Elko, tout en douceur, redonne un souffle poétique à cette tragédie grâce à sa marionnette complice.

Je m’appelle Adèle Bloom est plus qu’un spectacle : c’est une fable noire, documentée, portée par une langue précise et viscérale. Harscouët ne décrit pas seulement l’horreur : il la fait ressentir, dans toute son absurdité, sa violence et ses résonances contemporaines. Car au-delà du cadre historique, c’est bien d’un système que l’on parle — d’un regard sur les femmes, sur les déviantes, sur les rêveuses — que l’on a voulu corriger à coup de piques à glace et de sourires forcés.

On en ressort bouleversé, presque hanté, avec l’étrange impression d’avoir lu un roman à haute voix dans une salle d’audience silencieuse.

Un spectacle à vif, nécessaire, terriblement humain.

Alex Lutz, entre rire et vertige existentiel : « Sexe, Grog et Rocking Chair », un seul-en-selle au galop de l’âme

Achat spectacle : https://www.cirquedhiver.com/evenements/alex-lutz-16/

Sept ans après son dernier one-man-show, Alex Lutz revient sur scène avec un spectacle intime et puissamment incarné. Intitulé Sexe, Grog et Rocking Chair, ce troisième seul-en-scène est présenté du 4 au 27 avril au Cirque d’Hiver Bouglione, avant une tournée à travers la France. Fidèle à sa signature singulière, l’artiste y mêle théâtre, confidences et performance équestre : ses deux chevaux, Nilo et Saint-Trop, font partie intégrante de ce “seul en selle” aussi atypique que bouleversant.

Ce nouveau spectacle est marqué par un événement personnel profondément intime : la mort de son père, Gérard Lutz, survenue trois ans plus tôt. Plutôt que d’en faire un simple hommage, l’artiste choisit d’interroger, sur scène, les liens filiaux, les transmissions générationnelles, et cette faille universelle qu’est le deuil. « Plutôt que de mettre cet événement sous le tapis, j’ai voulu le convoquer dans le spectacle », confie-t-il. Le résultat est un récit pudique et sensible, tissé de souvenirs et d’humour, de tendresse et de désenchantement.

Alex Lutz évoque son père comme « un enfant de l’après-guerre », un homme habité par l’idéal de paix, capable de « mettre des œillets dans les fusils ». À cette figure lumineuse, il oppose sa propre génération, marquée par « le chômage, le sida, la gueule de bois de la fête ». Devenu père à son tour, il se dit à la fois inquiet et fasciné par les jeunes d’aujourd’hui, qu’il observe avec une admiration teintée d’humilité.

La scénographie s’appuie sur des images d’archives personnelles, retraçant la vie de son père, les compagnes successives, les foyers recomposés. « À chaque nouvelle relation, la maison changeait complètement. C’était haut en couleur, assez drôle… Une école de vie, en somme. » Ce va-et-vient entre mémoire et fiction donne au spectacle une matière organique, humaine, au bord de l’émotion mais jamais loin du rire.

Artiste multiple, Alex Lutz s’est imposé ces dernières années comme l’un des visages majeurs de la scène française. Révélé au grand public par le duo Catherine et Liliane sur Canal+ aux côtés de Bruno Sanches, il a remporté deux Molières de l’humour (2016 et 2020) et le César du meilleur acteur pour Guy, faux documentaire musical qu’il a écrit, réalisé et interprété.

Avec Sexe, Grog et Rocking Chair, il prouve une fois encore sa capacité à allier virtuosité comique et profondeur émotionnelle. Plus qu’un retour : une mue, un vertige, une traversée.

Après Paris, Alex Lutz partira sur les routes : il sera à Caluire-et-Cuire le 25 mai, à Roubaix le 16 juin. D’autres dates seront annoncées prochainement.

EN FANFARE avec Benjamin Lavernhe (Acteur), Pierre Lottin (Acteur), Emmanuel Courcol (Réalisateur)

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Thibaut est un chef d’orchestre de renommée internationale qui parcourt le monde. Lorsqu’il apprend qu’il a été adopté, il découvre l’existence d’un frère, Jimmy, employé de cantine scolaire et qui joue du trombone dans une fanfare du nord de la France.

Dans En Fanfare, Emmanuel Courcol livre une comédie dramatique pleine de sensibilité et de musique, où la rencontre improbable de deux frères, que tout oppose, devient le fil conducteur d’une histoire émouvante et pleine d’espoir. Thibaut, un chef d’orchestre de renommée internationale, découvre qu’il a un frère, Jimmy, employé de cantine scolaire et tromboniste dans une fanfare du nord de la France. Si tout semble les séparer, à commencer par leur milieu et leur parcours, un point commun va les réunir : leur amour inébranlable pour la musique.

Le film se déploie autour de l’évolution de leur relation, alors que Thibaut, touché par les talents musicaux exceptionnels de Jimmy, décide de lui offrir une chance de briller. C’est un film qui explore la fraternité, les liens familiaux et les inégalités sociales avec une grande finesse, mais aussi avec une bonne dose de chaleur humaine. L’histoire de cette rencontre improbable devient alors une quête de rédemption et de changement de destin, où la musique est le catalyseur d’une transformation personnelle et familiale.

Les performances des deux acteurs principaux, Benjamin Lavernhe (membre de la Comédie-Française) et Pierre Lottin (révélé dans Les Tuches), sont absolument remarquables. Leur alchimie à l’écran est palpable et leur interprétation pleine de nuances fait de ce duo un véritable moteur émotionnel du film. Ils incarnent à merveille la complémentarité de leurs personnages, oscillant entre humour, tendresse et moments de pure émotion.

Le film, au-delà de l’histoire simple et belle qu’il raconte, porte un message puissant sur la fraternité et la solidarité. Il questionne aussi le déterminisme social, en montrant comment la musique et la passion peuvent parfois transcender les barrières imposées par la naissance et l’environnement.

La réalisation de Courcol, à la fois intime et engagée, fait de En Fanfare une œuvre poignante et profondément humaine. Le film séduit par sa capacité à aborder des thèmes lourds avec légèreté, offrant ainsi au spectateur une expérience à la fois divertissante et émouvante.

Les bonus du DVD enrichissent l’expérience avec un making-of intitulé Vents et Baguettes (réalisé par Antonin Cloteau), qui permet de découvrir les coulisses du film ainsi qu’un entretien avec le réalisateur et les deux acteurs principaux. Ces ajouts offrent une immersion dans l’univers du film, en dévoilant le travail de préparation et la chimie entre les acteurs.

En Fanfare est donc un véritable coup de cœur, un film où l’émotion se mêle à la musique, et où chaque note jouée à l’écran résonne bien au-delà des scènes. Une ode à l’humain, à la solidarité et à la puissance de la musique, qui mérite largement d’être vu et revu.

Classé ‏ : ‎ Tous publics Dimensions du produit (L x l x h) ‏ : ‎ 13,6 x 1,6 x 19,1 cm; 104 grammes Réalisateur ‏ : ‎ Emmanuel Courcol Format ‏ : ‎ PAL Durée ‏ : ‎ 1 heure et 39 minutes Date de sortie ‏ : ‎ 1 avril 2025 Acteurs ‏ : ‎ Benjamin Lavernhe, Pierre Lottin, Sarah Suco, Jacques Bonnaffé, Clémence Massart-Weit Langue ‏ : ‎ Français (Dolby Digital 5.1) Studio  ‏ : ‎ Diaphana

Dar l’invincible De Don Coscarelli Avec Marc Singer, Tanya Roberts, Rip Torn Titre original The Beastmaster

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Les aventures et les exploits de Dar, surnommé « l’invincible », parce qu’il possède le pouvoir de commander les bêtes et qu’il est accompagné dans sa quête par une panthère noire et un aigle qui le protège tous deux.

Sorti en 1982, Dar l’Invincible (The Beastmaster) de Don Coscarelli s’inscrit dans la lignée des films d’heroic fantasy des années 80, aux côtés de Conan le Barbare ou Krull. Porté par Marc Singer dans le rôle-titre, ce film d’aventure propose un voyage initiatique où magie, vengeance et communion avec la nature s’entremêlent dans un univers à la fois brutal et fascinant.

Le film repose sur un schéma narratif simple mais efficace : Dar, héritier d’un royaume qu’il ignore, est enlevé à la naissance par une sorcière aux ordres du maléfique Maax (Rip Torn), un tyran qui craint une prophétie annonçant sa chute. Sauvé in extremis et élevé dans un paisible village, Dar découvre progressivement son don unique : il peut communiquer avec les animaux par télépathie. Mais son destin bascule lorsque son village est détruit par les troupes de Maax. Devenu le dernier survivant, il se lance dans une quête vengeresse qui le mènera à forger des alliances inattendues.

Si l’histoire suit des codes bien établis du genre, Dar l’Invincible se distingue par son attachement au lien homme-nature. Les compagnons animaux de Dar – deux furets malicieux, un majestueux aigle et une panthère – ne sont pas de simples mascottes, mais de véritables partenaires de combat, jouant un rôle clé dans l’aventure. Cet élément donne une originalité certaine au film et renforce son côté mythologique.

Marc Singer incarne un héros charismatique, aussi agile qu’attachant, même si son jeu reste parfois limité. Son physique sculpté et sa prestance martiale en font néanmoins un protagoniste convaincant. Tanya Roberts, en princesse captive, offre une présence séduisante mais un rôle malheureusement peu développé, cantonné aux clichés de l’époque. Rip Torn, quant à lui, cabotine avec délice en grand méchant, conférant à Maax une aura inquiétante avec son regard perçant et son sourire carnassier.

Visuellement, le film bénéficie d’un tournage en extérieurs naturels, qui accentuent son atmosphère de conte épique. Si les effets spéciaux et les costumes ont pris un coup de vieux, ils conservent un charme rétro indéniable. Les scènes d’action, bien que parfois rudimentaires, sont rythmées et portées par une mise en scène dynamique.

Dar l’Invincible n’échappe pas aux faiblesses typiques des productions de son époque : dialogues un peu naïfs, quelques longueurs et un budget modeste qui se ressent dans certains décors et effets visuels. Pourtant, il a su marquer les esprits grâce à son ambiance unique, son ton sincère et son attachement à l’aventure pure.

Avec le temps, le film a acquis un statut culte, notamment grâce à ses diffusions télévisées répétées et son impact sur la pop culture. Il a donné naissance à plusieurs suites et à une série télévisée dans les années 90, preuve que son univers continue de fasciner les amateurs de fantasy old-school.

Si Dar l’Invincible n’a pas la noirceur et l’ampleur de Conan le Barbare, il possède une identité propre et un charme indéniable. Son mélange d’aventure, de magie et de bestiaire fantastique en fait une œuvre attachante, à savourer avec un regard indulgent et une nostalgie bienveillante pour cette époque où les films de fantasy avaient un parfum d’évasion brute et sincère.

Classé ‏ : ‎ Tous publics Dimensions du produit (L x l x h) ‏ : ‎ 13,5 x 1 x 17,5 cm; 90 grammes Format ‏ : ‎ Couleur Durée ‏ : ‎ 1 heure et 58 minutes Date de sortie ‏ : ‎ 26 mars 2025 Acteurs ‏ : ‎ Don Coscarelli Sous-titres : ‏ : ‎ Français Studio  ‏ : ‎ ESC EDITIONS ASIN ‏ : ‎ B0DN77Y1CY

Une part manquante De Guillaume Senez Avec Romain Duris, Judith Chemla, Mei Cirne-Masuki

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Tous les jours, Jay parcourt Tokyo au volant de son taxi à la recherche de sa fille, Lily. Séparé depuis 9 ans, il n’a jamais pu obtenir sa garde. Alors qu’il a cessé d’espérer la revoir et qu’il s’apprête à rentrer en France, Lily entre dans son taxi…

Avec Une part manquante, Guillaume Senez livre un film poignant sur la paternité, la séparation et l’espoir ténu d’une reconnection. Porté par un Romain Duris d’une justesse rare, ce drame intime nous plonge dans les rues vibrantes de Tokyo, où un père français, privé de la garde de sa fille depuis neuf ans, s’accroche à un dernier espoir avant de repartir en France.

Dès les premières minutes, le film nous embarque dans la routine nocturne de Jay, chauffeur de taxi à Tokyo. Son visage fatigué, ses regards perdus dans le vide, ses gestes mécaniques racontent une histoire sans mots : celle d’un homme brisé, mais incapable d’abandonner complètement. Jay sillonne la ville, non pas pour fuir, mais pour chercher – même s’il sait que sa quête est vouée à l’échec. Jusqu’au jour où, par un incroyable coup du destin, Lily, sa fille, entre dans son taxi.

Guillaume Senez filme cette rencontre avec une pudeur bouleversante. Il ne tombe jamais dans le mélo facile, préférant capturer les silences, les hésitations et la fragilité des retrouvailles. Comment parler après tant d’années ? Comment rattraper le temps perdu en une course de taxi ? Le film ne cherche pas à répondre brutalement à ces questions, mais les laisse résonner en nous, longtemps après le générique.

Romain Duris livre ici l’une de ses plus belles performances. Loin de ses rôles de charmeur ou d’électron libre, il incarne un homme usé, rongé par le manque et la culpabilité. Son jeu repose sur des détails subtils : un regard fuyant, une voix qui se brise à peine, un sourire timide, comme s’il n’osait plus y croire. Face à lui, la jeune Mei Cirne-Masuki est une révélation. Son Lily n’est ni dans le rejet brutal ni dans l’acceptation immédiate. Elle oscille entre méfiance, curiosité et une envie, presque inconsciente, de comprendre qui est cet homme qu’elle ne connaît pas mais dont elle porte le sang.

Judith Chemla, qui joue la mère de Lily, apporte une autre dimension au récit. Sans jamais être diabolisée, son personnage incarne les dilemmes d’une mère qui a dû faire des choix douloureux dans un pays où la garde exclusive était la norme jusqu’à récemment. Le film ne juge pas, il observe, et c’est en cela qu’il est si puissant.

La mise en scène de Guillaume Senez est d’une grande délicatesse. Plutôt que d’insister sur les dialogues, il laisse parler les images : Tokyo de nuit, ses néons, ses rues humides après la pluie, ses visages anonymes croisés derrière les vitres du taxi. La ville devient un personnage à part entière, écrasante et indifférente, reflet du combat intérieur de Jay.

La photographie est soignée, jouant sur les contrastes entre les lumières artificielles et l’obscurité des ruelles. La bande-son, discrète, accompagne avec justesse cette errance, oscillant entre mélancolie et espoir ténu.

Une part manquante n’est pas un film qui cherche à donner des réponses toutes faites. Il parle de paternité, de filiation, de ces liens invisibles mais indestructibles qui survivent au temps et à la distance. Il questionne aussi les différences culturelles et les injustices d’un système qui prive certains parents de leurs enfants.

Classé ‏ : ‎ Tous publics Dimensions du produit (L x l x h) ‏ : ‎ 13,5 x 1 x 17,5 cm; 90 grammes Format ‏ : ‎ Couleur, PAL Durée ‏ : ‎ 1 heure et 38 minutes Date de sortie ‏ : ‎ 19 mars 2025 Acteurs ‏ : ‎ Guillaume Senez Sous-titres : ‏ : ‎ Français Langue ‏ : ‎ Français (Dolby Digital 5.1) Studio  ‏ : ‎ ESC EDITION

Fario De Lucie Prost Avec Finnegan Oldfield, Megan Northam, Florence Loiret Caille

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Léo, jeune ingénieur brillant et fêtard qui vit à Berlin, doit rentrer dans son village du Doubs pour vendre les terrains agricoles de son père à une entreprise de forage de métaux rares.

Avec Fario, son premier long-métrage, Lucie Prost nous plonge dans une France rurale à la croisée des mondes, entre réalisme et poésie. Le film suit Léo (incarné par un magnétique Finnegan Oldfield), un jeune ingénieur installé à Berlin, qui revient dans son village natal du Doubs pour vendre les terres agricoles de son père à une entreprise de forage de métaux rares. Ce retour aux sources, qui devait être une simple formalité, devient rapidement un voyage initiatique troublant. Entre retrouvailles familiales, vieilles rancœurs et un mystère qui plane autour des truites farios de la rivière locale, le film tisse une atmosphère singulière, à la fois intime et envoûtante.

L’une des grandes forces de Fario réside dans son équilibre entre un ancrage réaliste et une touche de fantastique diffus. Lucie Prost explore avec finesse les contradictions du monde rural : l’attachement à la terre face aux impératifs économiques, la mémoire familiale et la difficulté de renouer avec un passé que l’on pensait derrière soi.

Le scénario avance par petites touches, laissant les émotions et les tensions affleurer sans jamais les surligner. On se laisse happer par la manière dont le film capte l’épaisseur du temps, le poids des souvenirs et la mélancolie d’un territoire qui change. L’histoire des truites farios, qui semblent affectées par un phénomène mystérieux, devient une belle métaphore du dérèglement d’un monde en mutation.

Finnegan Oldfield livre une prestation tout en nuances. Habitué aux rôles de personnages tourmentés (Marche ou crève, Gagarine), il incarne ici un Léo tiraillé entre son désir d’ailleurs et un attachement inconscient à ses racines. Son regard perdu, sa manière d’observer les lieux et les visages qu’il croyait connaître, donnent une profondeur bouleversante au personnage.

À ses côtés, Megan Northam apporte une énergie lumineuse. Son personnage, à la fois ancré dans la réalité du village et sensible aux mystères qui l’entourent, crée un beau contraste avec Léo. Florence Loiret Caille, quant à elle, campe un rôle plus discret mais essentiel, renforçant l’émotion du film par sa justesse.

Lucie Prost s’appuie sur une réalisation fluide et élégante, privilégiant les plans contemplatifs et les silences habités. La photographie, signée Sébastien Goepfert, magnifie la nature du Doubs avec une approche presque sensorielle : l’eau qui clapote, la brume qui s’accroche aux arbres, la lumière qui caresse les visages. Le film capte avec une grande délicatesse la beauté brute des paysages, rendant tangible cette sensation d’un monde à la fois immuable et fragile.

L’ambiance sonore joue également un rôle clé. La musique, discrète mais enveloppante, souligne les émotions sans jamais les forcer. Les bruits de la rivière, du vent dans les arbres, des pas sur la terre humide contribuent à créer une atmosphère immersive, presque hypnotique.

Avec Fario, Lucie Prost signe un premier film maîtrisé, à la fois intime et universel. Porté par un casting inspiré et une mise en scène sensible, le film parle de deuil, de transmission et de la manière dont nos racines continuent à nous hanter, même quand on croit les avoir laissées derrière nous.

Si certains pourront regretter un rythme parfois contemplatif, c’est aussi ce qui fait la force de Fario : une œuvre qui prend son temps, qui laisse respirer ses personnages et qui nous invite à écouter le murmure de la nature autant que celui de nos souvenirs. Un film à la poésie rare, qui marque par sa douceur et son mystère.

Classé ‏ : ‎ Tous publics Dimensions du produit (L x l x h) ‏ : ‎ 13,5 x 1 x 17,5 cm; 90 grammes Format ‏ : ‎ Couleur, PAL Durée ‏ : ‎ 1 heure et 30 minutes Date de sortie ‏ : ‎ 19 mars 2025 Acteurs ‏ : ‎ Lucie Prost Langue ‏ : ‎ Français (Dolby Digital 5.1) Studio  ‏ : ‎ ESC EDITIONS ASIN ‏ : ‎ B0DPBB7Z5L

En tongs au pied de l Himalaya De John Wax | Par John Wax, Marie-Odile Weiss Avec Audrey Lamy, Nicolas Chupin, Eden Lopes

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Pauline est la maman d’Andréa, 6 ans et demi, un petit garçon formidable à qui on a diagnostiqué un TSA : un « trouble du spectre autistique ». Il n’est pas vraiment au niveau mais il est toujours scolarisé et s’apprête à faire sa rentrée en grande section de maternelle.

Dans En tongs au pied de l’Himalaya, John Wax nous livre un récit touchant, qui oscille entre comédie et drame, en se concentrant sur les défis quotidiens de Pauline, une mère célibataire confrontée à l’éducation d’un enfant diagnostiqué avec un trouble du spectre autistique (TSA). Ce film, écrit par Wax et Marie-Odile Weiss, explore avec humour et sensibilité la complexité du quotidien d’une mère qui lutte pour apporter à son fils la stabilité nécessaire à son développement, malgré les obstacles qui se dressent sur son chemin.

Une réalité humaine et émotive

L’histoire suit Pauline (interprétée avec une grande justesse par Audrey Lamy), une femme récemment séparée et sans revenus fixes, qui tente tant bien que mal de gérer la vie avec son fils, Andréa, un petit garçon de 6 ans et demi atteint d’un TSA. L’histoire est construite autour de cette mère courageuse qui doit jongler avec les exigences d’un système scolaire et les difficultés administratives liées à l’autisme, tout en affrontant une situation personnelle délicate. Pauline incarne cette mère débordée, mais déterminée, prête à tout pour offrir à son fils une chance de s’intégrer et de progresser.

Le film dépeint avec réalisme la pression ressentie par les parents d’enfants atteints de TSA, qui doivent souvent naviguer dans un système qui manque de soutien, tout en faisant face à une société qui ne comprend pas toujours leurs défis. La manière dont Pauline doit jongler entre les obligations professionnelles, les démarches administratives et les besoins émotionnels d’Andréa est touchante, voire poignante.

Un personnage d’enfant extrêmement bien interprété

Andréa, incarné par le jeune Eden Lopes, est un personnage qui touche profondément. Le film réussit à capturer la pureté de l’enfance tout en montrant les difficultés d’un enfant autiste à s’adapter à un environnement souvent trop contraignant et peu adapté. Le petit Andréa n’est pas un personnage d’enfant modèle, mais un enfant avec des besoins bien spécifiques, et le film ne cherche jamais à le saintifier. Au contraire, il met en lumière les petites victoires quotidiennes qui permettent d’espérer que la situation s’améliore. Les scènes entre Audrey Lamy et Eden Lopes sont les plus émouvantes du film, transmettant à la fois une grande tendresse et des moments de frustration partagée.

Humour et légèreté face à des sujets graves

Ce qui fait la force de ce film, c’est sa capacité à alterner moments de comédie et d’émotion sincère. L’humour est souvent utilisé pour alléger la tension, mais jamais de manière à diminuer la gravité du sujet. Ainsi, la métaphore de l’Himalaya en tongs — évoquant l’impossibilité apparente de certaines tâches — est parfaitement choisie pour illustrer l’improbabilité des défis auxquels Pauline est confrontée. Le contraste entre la légèreté des situations comiques et la dureté de la réalité de la mère seule est un moyen efficace de rendre le film à la fois accessible et poignant.

Cette approche ludique permet de ne pas sombrer dans le pathos, un piège dans lequel certains films sur des thèmes aussi lourds peuvent facilement tomber. Les scènes où Pauline se débat dans des situations absurdes (comme les nombreuses démarches administratives ou les relations avec des enseignants souvent peu compréhensifs) nous rappellent avec une certaine légèreté que la vie quotidienne peut être un combat.

Un film sensible mais réaliste sur les défis de la parentalité

À travers Pauline, le film met en lumière un aspect peu souvent abordé : la complexité des parents d’enfants ayant des besoins spéciaux. Ces parents qui, malgré la pression sociale et les jugements, doivent se battre pour leur enfant et essayer de maintenir une normalité dans un quotidien bouleversé. Le film nous permet de comprendre non seulement les défis rencontrés par les enfants atteints de TSA, mais aussi les difficultés de leurs parents à s’adapter à un environnement peu souvent conçu pour les soutenir.

Une équipe de talent

Audrey Lamy brille dans le rôle de Pauline, incarnant une mère pleine de doutes mais aussi d’une grande résilience. Son jeu est à la fois sensible et énergique, apportant à son personnage une vraie dimension humaine. Nicolas Chupin, dans le rôle de Fabrice, le père absent, offre une prestation plus discrète mais tout aussi marquante, soulignant la complexité de la séparation familiale. Le film bénéficie d’une mise en scène simple mais efficace, qui se concentre avant tout sur la relation mère-enfant et sur les moments de lutte intérieure de Pauline.

Les Barbares De Julie Delpy | Par Julie Delpy, Matthieu Rumani Avec Julie Delpy, Sandrine Kiberlain, Laurent Lafitte

A Paimpont, l’harmonie règne : parmi les habitants, il y a Joëlle – l’institutrice donneuse de leçons, Anne – la propriétaire de la supérette portée sur l’apéro, Hervé – le plombier alsacien plus breton que les Bretons, ou encore Johnny – le garde-champêtre fan de… Johnny. Dans un grand élan de solidarité, ils acceptent avec enthousiasme de voter l’accueil de réfugiés ukrainiens. Sauf que les réfugiés qui débarquent ne sont pas ukrainiens… mais syriens ! Et certains, dans ce charmant petit village breton, ne voient pas l’arrivée de leurs nouveaux voisins d’un très bon œil. Alors, au bout du compte, c’est qui les barbares ?

Angelo dans la forêt mystérieuse De Vincent Paronnaud, Alexis Ducord | Par Vincent Paronnaud Avec Yolande Moreau, Philippe Katerine, José Garcia

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Angelo, 10 ans, se rêve aventurier et explorateur.

Vincent Paronnaud revient à la réalisation avec Dans la Forêt Sombre et Mystérieuse, une adaptation audacieuse de la bande dessinée de Winshluss. Ce film, porté par une touche onirique et un humour décalé, nous plonge dans le monde de l’enfance, de ses peurs et de ses rêves.

Un récit d’aventure teinté de fantastique

L’histoire suit Angelo, un garçon de 10 ans rêvant d’aventures et de mystères, qui se retrouve accidentellement abandonné sur une aire d’autoroute. Pour rejoindre sa grand-mère malade, il choisit de traverser une forêt mystérieuse, peuplée de créatures étranges et de dangers bien plus réels qu’il ne l’imaginait. La forêt devient alors une métaphore du passage à l’âge adulte, un territoire inconnu où l’innocence se heurte aux terreurs du monde réel.

Le film se distingue par sa capacité à capturer l’essence du point de vue d’un enfant, où l’imaginaire et le réel se confondent sans cesse. Angelo, qui croit encore aux contes et aux légendes, est confronté à une réalité bien plus complexe et menaçante, ce qui ajoute une dimension émotionnelle forte à son périple.

Un univers visuel riche et saisissant

L’adaptation de Paronnaud, fidèle à la bande dessinée, propose un univers visuel frappant et singulier. Les décors, aussi oniriques qu’inquiétants, sont magnifiquement réalisés. La forêt, à la fois majestueuse et menaçante, est filmée avec une grande sensibilité, créant une atmosphère unique où l’on perçoit les deux faces du monde : celle de l’enfance, pleine de magie et de curiosité, et celle de la peur, souvent irrationnelle et accablante.

La direction artistique, colorée et contrastée, fait écho à l’univers graphique de Winshluss, tout en apportant une nouvelle dimension cinématographique qui capture la beauté du fantastique. Le film oscille entre un style visuel presque naïf et des scènes de plus en plus tendues et angoissantes, créant un équilibre subtil entre l’aventure enfantine et l’horreur qui plane sur le récit.

Des personnages attachants et décalés

L’un des atouts majeurs du film réside dans la richesse de ses personnages. Angelo, interprété par un jeune acteur talentueux, est le cœur du film. Sa naïveté et sa détermination à affronter les épreuves qui se dressent devant lui créent une empathie immédiate. À ses côtés, les personnages secondaires, incarnés par Yolande Moreau, Philippe Katerine et José Garcia, ajoutent de la profondeur et de l’humour au film. Les adultes jouent un rôle étrange dans cette histoire, à la fois protecteurs et incohérents, symbolisant les différentes facettes de l’univers adulte qui échappent à l’enfant.

José Garcia, en particulier, brille dans un rôle de créature étrange qui, tout en étant un antagoniste menaçant, conserve une touche d’absurde et d’humour noir. Ce mélange de comédie et de fantastique est l’une des marques de fabrique du film.

Un voyage entre le réel et l’imaginaire

Dans la Forêt Sombre et Mystérieuse est avant tout un film sur l’imaginaire et la capacité des enfants à créer des mondes parallèles pour affronter leurs peurs. La forêt devient le lieu où les limites entre le réel et l’imaginaire sont floues, un lieu où l’enfant se confronte à des dangers réels (les créatures qui peuplent la forêt) et à des peurs intérieures (l’ogre, la solitude, la responsabilité).

C’est aussi un film sur l’initiation, sur le passage de l’enfance à l’adolescence. À travers cette aventure, Angelo apprend à faire face à ses propres angoisses et à comprendre les véritables enjeux du monde adulte, souvent plus cruels et plus complexes qu’il ne l’avait imaginé.

Megalopolis De Francis Ford Coppola | Par Francis Ford Coppola Avec Adam Driver, Giancarlo Esposito, Nathalie Emmanuel

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Megalopolis est une épopée romaine dans une Amérique moderne imaginaire en pleine décadence.

Après des décennies d’attente et de mystère, Francis Ford Coppola livre enfin Megalopolis, une fresque monumentale qui embrasse la démesure et l’ambition avec une audace rare dans le cinéma contemporain. Projet personnel du cinéaste depuis plus de 40 ans, ce film se présente comme une œuvre hybride, à la croisée de la science-fiction, de la tragédie romaine et du commentaire social.

Une épopée romaine au cœur d’une Amérique en déclin

Megalopolis transpose la grandeur et la chute de Rome dans une version dystopique des États-Unis, où New Rome, ville tentaculaire en pleine crise, devient le théâtre d’un affrontement idéologique titanesque. D’un côté, César Catilina (Adam Driver), visionnaire utopiste capable d’arrêter le temps, incarne un avenir où l’art et la science transcendent les limites humaines. De l’autre, Franklyn Cicero (Giancarlo Esposito), maire réactionnaire, lutte pour préserver un système corrompu et répressif, s’accrochant aux vestiges d’un monde en décomposition. Entre eux, Julia Cicero (Nathalie Emmanuel), fille du maire et icône mondaine, oscille entre ces deux visions du futur, tiraillée entre ses sentiments et sa quête de sens.

Coppola, en fin stratège, s’inspire librement de la conspiration de Catilina dans la Rome antique pour bâtir une métaphore de l’Amérique contemporaine. À travers ce duel idéologique, Megalopolis interroge le pouvoir, la décadence et la possibilité d’un renouveau dans une société gangrenée par les inégalités et la cupidité.

Une mise en scène grandiose et expérimentale

Visuellement, Megalopolis est un choc. Coppola, loin de s’en tenir aux codes classiques du blockbuster, opte pour une esthétique baroque et futuriste, où les décors monumentaux évoquent autant la Rome antique que l’architecture brutaliste et cyberpunk. La photographie, oscillant entre clair-obscur expressionniste et explosions de couleurs saturées, donne au film une identité visuelle unique, à mi-chemin entre le théâtre antique et le délire numérique.

Le montage audacieux, fait d’ellipses temporelles et de ruptures de ton, rappelle le Coppola expérimental d’Apocalypse Now ou de Rumble Fish. Certains passages, quasi oniriques, plongent le spectateur dans une transe sensorielle, où le temps semble suspendu, en écho aux pouvoirs de Catilina. La musique, mêlant compositions orchestrales grandioses et sonorités électroniques, renforce cette impression d’être face à une œuvre hors du temps.

Un film radical qui divisera

Il est certain que Megalopolis ne plaira pas à tout le monde. Par son ambition démesurée et sa narration éclatée, il risque de perdre les spectateurs en quête d’un récit plus linéaire. Mais c’est précisément cette audace qui en fait une œuvre fascinante. Coppola ne cherche pas à rassurer, il provoque, il interroge, il bouscule. Certains dialogues prennent des allures de manifeste philosophique, et le film, à l’image de ses personnages, hésite entre le chaos et l’utopie.

Si Adam Driver livre une performance habitée, incarnant un Catilina aussi charismatique que tourmenté, c’est Giancarlo Esposito qui surprend le plus. En maire tyrannique, il campe un antagoniste glaçant, à l’opposé des rôles plus nuancés auxquels il nous avait habitués. Nathalie Emmanuel, quant à elle, apporte une touche d’émotion brute, incarnant le dilemme moral du film avec justesse.

Une œuvre-somme pour un cinéaste légendaire

Avec Megalopolis, Coppola ne cherche pas à réitérer ses succès passés, mais à réinventer son art. À 85 ans, il signe une œuvre-somme, synthèse de ses obsessions sur le pouvoir, la corruption et la grandeur déchue. Ce film, qu’il a financé lui-même, n’est pas seulement un projet personnel, c’est une déclaration d’indépendance artistique face à une industrie frileuse.

Alors, chef-d’œuvre visionnaire ou délire mégalomaniaque ? Peut-être un peu des deux. Mais une chose est sûre : Megalopolis est une œuvre qui marque, qui questionne, qui reste en tête bien après le générique.