Que valent les premières séries TV d’Apple?

Ce n’est pas tous les jours que sort un produit Apple pas cher. Depuis vendredi, le géant de l’informatique a ouvert son service de vidéo en ligne, gratuit une semaine, puis seulement 6 francs par mois. Si l’on souscrit pour une année, on a une petite ristourne, le total est alors de 60 francs. Il faut changer le choix dans les réglages. Afin de jouer sur sa force de frappe dans les appareils, Apple offre une année d’Apple TV + lors de tout achat d’un téléphone ou une tablette.

Sur une Apple TV, l’apparition des fictions TV maison se révèle discrète: celles-ci sont noyées dans l’ensemble, et il faut même farfouiller un peu pour atteindre le bouton d’abonnement. Trois épisodes sont proposés par série, le reste viendra en diffusion hebdomadaire. L’outil se révèle assez fruste: on ne peut éviter ni génériques ni récapitulations.

Désormais, la firme à la pomme entre dans le cercle, qui s’agrandit, des robinets à images produisant du contenu, secteur pour l’heure dominé par Netflix. Que dire de ses premières propositions?

«The Morning Show»: on peut être déçu en bien

La tête de gondole est sans conteste la série coproduite et interprétée par Jennifer Aniston et Reese Witherspoon. Alex (l’ex-Friends, excellente) anime le Morning Show, institution télévisuelle depuis quinze ans, avec son collègue Mitch. Un matin alors qu’elle arrive au studio, elle apprend que celui-ci a été licencié pour harcèlement sexuel. Alex va devoir composer avec une direction de chaîne qui veut aussi la pousser dehors, et une jeune et remuante journaliste que la même direction pousse sous les projecteurs. Le feuilleton a été démoli aux Etats-Unis, on peut se montrer plus nuancé. La bonne idée réside dans le choix d’une narration en continu, chaque journée qui suit le licenciement de l’accusé. Cette temporalité donne une certaine densité au récit. Mais The Morning Show souffre du fait qu’elle risque de ne pas être une grande série sur le monde de la TV, pas plus que sur la question du harcèlement et de l’ère #MeToo.

«For All Mankind»: l’intrigante uchronie de Ronald R. Moore

La plus originale. Ronald R. Moore, qui avait piloté la saisissante Battlestar Galactica des années 2000, se pose la question: que se serait-il passé si les Russes avaient mis les premiers le pied sur la Lune, en 1969? Par ce postulat original, l’auteur développe une uchronie subtile, car sans grands retournements historiques. L’enjeu est d’abord de rattraper le regard, puis de reprendre la main dans la bataille spatiale. Le feuilleton constitue aussi une chronique des vies des astronautes et autres ingénieurs de la NASA, avec femmes et enfants, dans ces années 1960-1970. Agréable saga, mais à ce stade, on se demande toujours ce que Ronald R. Moore veut vraiment raconter.

«Dickinson»: Nouvelle-Angleterre puritaine et rap

L’essai paraît bancal, il énerve même parfois, mais il y a au moins une proposition. La scénariste Alena Smith esquisse une biographie de la poétesse Emily Dickinson lorsqu’elle a 18 ans et s’oppose toujours plus fortement à son milieu. La jeune femme vive et créative est dépeinte comme féministe avant l’heure, toujours en avance sur son époque. Cette ligne donne un caractère assez intempestif au propos. Le choix de séquences accélérées avec rock et rap d’aujourd’hui renforce le caractère plutôt agaçant de l’ensemble.

«See»: rhaaa, worf, plouf

Elle était fort attendue, c’est la pire de l’offre. Dans un futur assez lointain, à la suite d’un virus, il ne reste que 2 millions d’humains vivant dans les bois, et, surtout, devenus aveugles. Le curieux suit les batailles et déplacements d’une tribu poursuivie par l’armée d’une reine qui se masturbe en priant et qui entretient des torches dans son bastion, alors que tout le monde est non-voyant. Ça grogne, ça beugle et ça brame sans fin dans ce post-apocalyptique ennuyeux animé par de ridicules singeries. La seule intrigue qu’inspire cette ânerie consiste à comprendre ce que Steven Knight, le créateur de la singulière Peaky Blinders, compte faire dans ces marécages.

L’offre des débuts comprend également un documentaire animalier et quelques programmes pour enfants, dont un sympathique Snoopy dans l’espace, ou quand le petit chien fait tout pour devenir astronaute. En somme, pour aller chez Ronald D. Moore, le monde d’Apple est petit.

Au fond, même si elles n’ont aucun rapport entre elles, les premières fictions d’Apple ont un point commun clair: elles semblent écrites en roue libre, sans forte tension ni arcs structurés. Il leur manque, en fait, un caractère, de vraies personnalités d’auteurs.

Chronique de Nicolas Dufour

Petite Chose de Lisa Brennan-Jobs (6 novembre 2019)

Elle est née dans une ferme, a été baptisée dans un champ, puis élevée parmi les hippies de Palo Alto. Lisa Brennan-Jobs a vécu une enfance hors norme, entre son père, Steve Jobs, créateur génial et froid de la firme Apple, et sa mère, Chrisann Brennan, artiste au tempérament bohème.

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Chronique : Si vous connaissez Steve Jobs, vous savez qu’il était un peu con. Bizarre. Exigeant. Sans compromis. C’est fastidieux. Asocial.

Maintenant, imagine-le comme un parent. Un parent réticent.

Lisa Brennan-Jobs est heureuse de vous décrire cette expérience. Elle est la fille de Jobs et de sa petite amie du lycée, Chrisann Brennan. Jobs depuis le début ni Lisa qui était son enfant quand elle était clairement. Même après un test génétique, il a quand même protesté. Lisa raconte son enfance jusqu’à l’âge adulte, prise entre sa mère hippie, émotionnellement instable, et les emplois éloignés et cruels. C’est une sacrée histoire. Aucun d’entre eux, y compris la manipulatrice Lisa, ne s’en sort très bien.

C’est l’histoire de Lisa, donc c’est l’histoire de sa vie de grandir et de révéler Jobs de son point de vue en tant que sa fille.

Une autre figure centrale du livre est la mère de Lisa, qui l’a souvent déplacée d’un endroit à l’autre, et à côté des années d’enfance de Lisa, les ordinateurs Apple s’imposaient à la fois dans la culture pop et chez une tonne d’utilisateurs, apportant non seulement notoriété mais également questions. Pourquoi Jobs était-il si réticent à reconnaître l’existence de sa fille alors qu’il passait encore du temps avec elle à l’occasion ? Pourquoi le choix du nom de l’ordinateur « Lisa » était-il un tel mystère ? Pourquoi Steve n’avait-il aucun problème avec ses beaux-enfants et ses collègues, mais Lisa a été largement ignorée ? Pendant ce temps, Lisa finit par emménager avec son père, mettant en lumière une relation à la fois tendue et dysfonctionnelle, mais toujours fondée sur une affection désespérée.

Steve Jobs lui-même est décédé et ne peut donc pas parler pour lui-même sur le sujet, donc ce qui est embelli ici  reste un peu brumeux. Pourtant, il met en lumière un côté moins glamour de l’atmosphère de l’Amérique des années 1980 et de l’insensibilité de l’environnement derrière toute cette rhétorique sur les rêves et l’imagination. Il s’agit moins de Steve Jobs que d’une fille qui essaie de comprendre le monde étrange et faussement idyllique dans lequel elle a passé son enfance.

Note : 9 /10

  • Broché : 560 pages
  • Editeur : Les Arènes (6 novembre 2019)
  • Collection : AR.TEMOIGNAGE
  • Langue : Français
  • ISBN-10 : 2711201953

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