Les exfiltrés de Berlin d’Harald Gilbers, L’horreur ne disparaît jamais, elle change juste de nom.

La précédente enquête de l’inflexible commissaire Oppenheimer m’avait séduite par son réalisme historique mais déçu par son intrigue prévisible au possible. Il est rare qu’une saga policière se bonifie avec le temps mais cela semble être le cas ici avec un nouveau récit moins attendu.

Autant être clair d’entrée de jeu, les twists renversant ne seront jamais l’apanage de l’auteur. Ce dernier préfère tisser une atmosphère oppressante, une ambiance paranoïaque dans une ville de Berlin qui a du mal à se remettre de la Seconde Guerre mondiale.

À défaut d’une enquête qui enchaîne les révélations, le récit propose une intrigue solide, rythmée avec une dose d’espionnage et de politique anxiogène qui laisse se profiler la guerre froide. Il n’y a guère qu’une décision invraisemblable prise par les personnages vers la fin qui m’a fait lever les yeux au ciel.

Mais, encore une fois, c’est surtout par sa retranscription du quotidien du peuple berlinois que l’ouvrage fait merveille. L’auteur nous fait partager la misère, l’amertume et la fierté d’un peuple qui n’a pas encore pu tourner la page de sa sombre histoire. Le quotidien des Berlinois nous est conté avec un réalisme clinique, les privations, le désarroi mais aussi la peur de ne pas voir le bout de ce sombre tunnel. Le tout par le regard acéré du commissaire Oppenheimer qui nage constamment en eaux troubles, témoin privilégié du théâtre sanglant qu’est devenu sa ville.

Harald Gilbers signe une honnête saga policière, habitée par un souci du réalisme historique et des personnages ambigus crédibles. La période complexe de l’après-guerre est une mine d’histoires idéales pour de sombres récits policiers.

Résumé : Berlin, 1947. Dans une capitale allemande divisée et affamée, le commissaire Oppenheimer est appelé sur le lieu d’un crime banal : un cambrioleur tué par le locataire de l’appartement dans lequel il est entré par effraction. Un cas d’autodéfense classique ? Oppenheimer en doute et découvre des zones troubles. Pendant ce temps, son collègue Billhardt disparaît en pleine enquête sur la mort d’un pickpocket retrouvé avec d’étranges documents sur lui. Oppenheimer comprend que les deux crimes sont liés et se retrouve bientôt confronté à un réseau secret d’exfiltration d’anciens nazis vers l’Argentine. Encerclé par les traîtres jusque dans les rangs de la police, il aura fort à faire pour ne pas sombrer.

Éditeur ‎Calmann-Lévy (26 mai 2021)
Langue ‎Français
Broché ‎448 pages
ISBN-10 ‎2702182321
ISBN-13 ‎978-2702182321

Séquences mortelles de Michael Connelly, n’entendez-vous pas résonner l’alarme ?

Je n’attendais pas grand chose du retour de Jake McEvoy dans un nouveau récit. Il s’agit sans doute du personnage de Michael Connelly le moins développé, il apparaît durant deux récits seulement, le poète et l’épouvantail. Deux très bons polars mais qui sont éclipsé par la profusion de récits mettant en scène le fameux inspecteur Harry Bosch. Pourtant cette nouvelle enquête tissée par l’orfèvre du noir se révèle être une excellente lecture policière.

On notera tout d’abord le choix judicieux de l’auteur de se concentrer sur une seule enquête. On suit le journaliste Jake McEvoy pas à pas dans ses investigations. Contrairement au précédent ouvrage où l’on voyait l’inspecteur Harry Bosch et sa comparse Renée Ballard se disperser sur pas moins de trois enquêtes, ici on se focalise sur une seule intrigue. Ce qui améliore grandement l’immersion du lecteur. Pour qui aime suivre l’enquête au plus près, suivre les raisonnements du protagoniste principal, assister à ses tentatives pour confronter les suspects et être le témoin du cheminement de l’enquête à travers l’apparition de pistes prometteuses, il n’y a guère mieux que ce récit signé par le maître du polar californien. On débute avec un crime sexuel maquillé en accident domestique avant que, page après page, le scénario alarmiste ne s’empresse de soulever des sujets de société inquiétants.

L’auteur a en effet décidé de prendre à bras le corps, si vous me permettez l’expression, le problème du traitement des données privées en abordant le thème méconnu des test ADN, qui ont l’air très populaire aux États-Unis. Sa plume factuelle et distancée ne porte aucun jugement mais le déroulement de l’enquête est suffisamment explicite pour que le lecteur en tire ses propres conclusions. Les découvertes sidérantes du journaliste s’enchaînent chapitres après chapitres, transformant ainsi le récit en rapport alarmant sur notre société actuelle. Difficile de faire la part entre la fiction et la réalité concernant le scandale soulevé par le récit mais nul doute que la fiction doit malheureusement s’approcher de la réalité.

De nombreux autres thèmes sont abordés par l’auteur et nombre d’entre eux s’articulent autour des droits des femmes et de leur place dans la société. C’est un polar directement influencé par le mouvement metoo. On évoque le cyber-harcèlement, la misogynie, les agressions sexuelles, mais aussi les fameux incels, ces groupes d’hommes haineux qui rejettent leurs échecs sur les femmes. Ces sujets sont survolés évidemment, on reste avant tout dans un polar il faut arrêter le meurtrier c’est la finalité du récit. Cependant on ne peut que saluer l’entreprise de l’auteur de vouloir focaliser son intrigue sur les problèmes de notre société, que ce soit la protection des données ou les agressions sexuelles tout en mettant en scène un personnage épris de justice mais justement maladroit dans ses relations avec les femmes.

La caractérisation du personnage est très juste. Jake est un journaliste acharné, consciencieux et déterminé mais son ego le pousse à vouloir tirer la couverture à lui quitte à se mettre à dos sa collègue et il ne parvient pas à construire une entente durable avec sa compagne. Michael Connelly a une la bonne idée de narrer son histoire par le point de vue d’un cinquantenaire qui est loin d’être un chevalier blanc mais qui ne laissera jamais la vérité être ensevelis sous les mensonges.

Au niveau des regrets je pourrais noter que le lièvre débusqué par notre journaliste intrépide est rapidement éclipsé lors du dénouement par une chasse à l’homme peu concluante. Un dénouement qui a le mérite, à la fois, de tirer en longueur, une péripétie aurait pu selon moi, être écarté du récit mais également d’être extrêmement bref en ce qui concerne la caractérisation de l’antagoniste principal. Mais tous les lecteurs de Michael Connelly le savent, la psychologie des tueurs en série n’a jamais été son fort alors il a préféré éluder plutôt que de dresser un portrait raté de psychopathe. À chacun d’apprécier la pirouette scénaristique ou pas.

Séquences mortelles se révèlent donc être un excellent polar qui met en lumière un sujet de société troublant et insiste sur les attaques dont sont encore victimes les femmes. Michael Connelly n’est jamais aussi bon que lorsqu’il s’attaque à un sujet de société à travers une enquête unique.

Résumé: L’illustre Jack McEvoy, maintenant journaliste au Fair Warning, un site Web de défense des consommateurs, a eu raison de bien des assassins. Jusqu’au jour où il est accusé de meurtre par deux inspecteurs du LAPD. Et leurs arguments ont du poids : il aurait tué une certaine Tina Portrero avec laquelle il a effectivement passé une nuit, et qu’il aurait harcelée en ligne. Malgré les interdictions de la police et de son propre patron, il enquête et découvre que d’autres femmes sont mortes de la même et parfaitement horrible façon : le cou brisé.
Le tueur, il le comprend aussi, choisit ses victimes à l’aide de leurs propres données génétiques. Trouver la séquence ADN qui le conduira à sa prochaine proie devient la priorité de Jack.
Mais déjà, le monstre est de nouveau prêt à frapper.

  • Éditeur : Calmann-Lévy (10 mars 2021)
  • Langue : Français
  • Broché : 486 pages
  • ISBN-10 : 2702182712
  • ISBN-13 : 978-2702182710
  • Poids de l’article : 450 g
  • Dimensions : 13.6 x 2.9 x 21.5 cm

Le don de Skullars Newton de Jean-François Chabas / 15 janvier 2020

Skullars Newton, rastafari du quartier misérable de Tivoli Gardens, en Jamaïque, est né avec un don extraordinaire : il peut lire les corps, décrypter les rouages des organismes vivants d’un simple regard. Mais ce don est aussi sa malédiction, car certains n’apprécient pas de voir leur intimité et leurs faiblesses ainsi exposées. Et seraient prêt à tuer pour s’assurer de son silence.

Chronique: Voilà sans doute ma lecture la plus étrange depuis le début de l’année, pas déplaisante, loin de là mais étrange.La particularité de ce roman est d’être à la croisée de plusieurs genres très codifiés. Le roman policier, le récit fantastique et la littérature blanche. Il en résulte une oeuvre hybride inclassable mais passionnante.Le don de ce cher Skullars est original, bien décrit et apporte au récit un atout fantastique des plus appréciables. Cependant le personnage de Skullars est un peu désincarné et passif, surtout comparé aux deux autres personnages principaux. En avançant dans la lecture on se rend compte qu’il restera en retrait de l’histoire principale. Les chapitres qui lui sont consacrés sont introspectifs et contemplatifs, ce qui est quand même dommage pour le personnage qui donne son nom à l’ouvrage. Ses souvenirs de son enfance en Jamaïque sont bien amenés à chaque fois ainsi que ses nombreuses anecdotes liées à son pouvoir mais il est dommage de ne pas le voir faire autre chose que contempler les montagnes autrichiennes ou la bagatelle avec une autochtone.Avec les chapitres consacrés à son frère ennemi, le terrible Jay-Jay « Fyah » Hearts, on verse dans le thriller d’action sanglant au rythme effréné. Ce Caïd impitoyable mais intelligent et vicieux offre une déferlante de violence digne d’un scarface ou d’un Pablo Escobar. Par contre le lien qui l’unit à Skullars n’est pas suffisamment étayé pour installer une tension narrative entre les deux protagonistes. Les deux personnages vivent leurs trames séparément et la raison de la rancoeur de Fyah paraît assez ténue.Le personnage le plus intéressant reste celui de Sissi Hearts, la sœur de Jay-Jay et éperdument amoureuse de Skullars, qui parcourt le globe à sa recherche. Sissi est une femme qui a compris qu’elle vivait dans un monde d’homme, qu’elle ne pourrait rien n’y changer mais qui a décidé de s’adapter en retournant les règles du jeu contre ces mâles dominants qui pullulent son entourage. Elle suit ses propres règles tout en offrant un masque de conformisme qui lui permet de survivre dans la haute-société.Malgré le plaisir que l’on prend à dévorer les chapitres il faut reconnaître que le récit reste assez plat, il manque un pic de tension finale qui viendrait cristalliser la rage meurtrière de Fyah et les attentes romantiques de Sissi face à Skullars qui ne cherche qu’à fuir toute cette agitation. Pour tout dire jusqu’à la dernière page j’étais persuadé de lire le premier tome prometteur d’une saga mais il n’en est rien c’est bien un roman d’un seul tenant. Ce qui n’empêche pas d’espérer relire un jour les aventures de ce personnage si original en espérant qu’il soit mieux mis en scène.

Note : 8,5/10

  • Broché : 378 pages
  • Editeur : Calmann-Lévy (15 janvier 2020)
  • Collection : Littérature Française
  • Langue : Français
  • ISBN-10 : 270216546X
  • ISBN-13 : 978-2702165461

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Les chiens de Détroit de Jérôme Loubry

Résumé : 2013, à Détroit. Cette ville qui a été la gloire de l’Amérique n’est plus qu’une ruine déserte, un cimetière de buildings.
Cette nuit-là, la jeune inspectrice Sarah Berkhamp mène le groupe d’intervention qui encercle une maison et donne l’assaut. Mais aucun besoin de violence, le suspect attend, assis à l’intérieur. Il a enlevé cinq enfants. Et il est sans doute le Géant de brume, le tueur insaisissable qui a laissé derrière lui sept petits corps, il y a quinze ans. Alors pourquoi supplie-t-il Sarah : « Aidez-moi… » ?
L’histoire s’ouvre donc avec l’arrestation du coupable. Et pourtant, elle ne fait que commencer. À Détroit, personne n’est innocent…

Chronique :Nouvelle sensation du polar français, Jérôme Loubry vient de signer l’un des succès de l’année 2019 avec les refuges. Il est temps pour moi de constater si cet auteur mérite toutes ses louanges en commençant par son premier roman : les chiens de Détroit.

Le récit commence sur un rythme effréné et avec une formule bien connue, on commence par la fin avant de revenir sur les événements antérieurs par le biais de chapitres flash back. Le rythme s’essouffle un peu lors des passages obligés où l’auteur nous présente les protagonistes principaux de son histoire.

Et c’est malheureusement là que se trouve la première faiblesse du roman, car malgré tous les efforts fournis par l’auteur pour nous intéresser à ses personnages d’inspecteurs torturés il ne parvient jamais à dépasser le statut de personnage de papier. La faute à des dialogues patauds et un style sans envergure.

Il en est de même pour sa description de la ville de Détroit. Je me faisais une joie de lire un récit dans cette ville en souffrance, véritable exemple de ce que le capitalisme peut produire de pire. Mais là encore malgré des efforts pour nous plonger dans l’atmosphère de cette ville en ruine la magie n’opère pas. Sa description de l’ancienne capitale de l’industrie automobile reste beaucoup trop scolaire pour être vraiment captivante. C’est bien simple je n’arrivais pas à m’enlever de la tête l’image d’un touriste français en goguette dans cette grande ville, ce qui dommage lorsque vous devez croire en l’histoire.

Des personnages transparents, une atmosphère trop académique pour être crédible, il ne restait plus que l’intrigue en elle-même pour sauver ce premier roman. Si, de manière générale, celle-ci tient debout on pourra regretter une fin précipitée et parsemée d’invraisemblance.

Avec ce premier roman l’auteur s’est appliqué à retranscrire la recette du parfait petit polar sans parvenir à imprégner son récit d’un style marquant et c’est fort dommage.

Note : 5/10

En aparté, pour tous ceux qui sont intéressés par l’histoire de la ville de Détroit et sa déliquescence, je partage ici le lien d’un jeune youtubeur français, Arthur genre, passionné par les U. S. A. et leur histoire: https://youtu.be/_0p5VMCaOSM

Éditeur Calmann-Lévy
Date de publication 11 octobre 2017
Langue Français
Longueur du livre 306
ISBN-10 2702161707