Dans les volutes de fumée et les vapeurs d’alcool…
L’histoire du jeune Clyde Morton ne se murmure qu’à l’heure la plus sombre de la nuit. Alors même que les clients les plus fidèles ont quitté la salle et qu’il ne reste que les égarés aux yeux troubles, que la fumée des cigarettes s’évapore et que les verres sont depuis longtemps asséchés de leur providence liquoreuse.
C’est une histoire qui s’est écrite cent fois. Une histoire de rêves brisés, d’opportunités dorées qui pavent le chemin vers l’enfer. C’est aussi l’histoire d’un brasier passionné qui ne sait s’éteindre.
Les confessions qu’il a laissées derrière lui laissent entrevoir une époque révolue, un pan d’histoire condensée en 200 pages à peine, une porte ouverte vers un passé où tout était plus simple et plus compliqué. Son regard reconstruit les briques des immeubles détruits d’Harlem, ses mots portent en eux toute la ferveur et la rage d’une population grisée par les notes de saxophone et par la poussière d’ange. C’est tout un pan d’histoire qui renaît.
Trois décennies s’écoulent sous les yeux des chanceux qui entendront l’histoire de Clyde. Trente ans hantés par les fantômes d’anciens alliés aux rictus exsangues, de génies musicaux aux regards extatiques, de silhouettes féminines à la voix suave. Une histoire d’Harlem, une histoire de drogue et de musique. Une histoire sur la nature humaine en quelque sorte.
Résumé : Des années 30 à la fin des années 50, Clyde « Viper » Morton règne sur Harlem au rythme du jazz et dans la fumée des joints de marijuana. Mais dure sera la chute.. Clyde Morton croit en son destin : il sera un grand trompettiste de jazz. Mais lorsqu’il quitte son Alabama natal pour auditionner dans un club de Harlem, on lui fait comprendre qu’il vaut mieux oublier son rêve. L’oublier dans les fumées de la marijuana… qui lui ouvre des horizons. La « viper », comme elle est surnommée à Harlem, se répand à toute vitesse et Clyde sera son messager. Il est bientôt un caïd craint et respecté, un personnage. Jusqu’au jour où arrive la poudre blanche qui tue. Et qui oblige à tuer.
Il y a des ouvrages comme ça qui vous happe dès la première page et qui, au fil du récit, se faufile un chemin jusqu’à votre cœur et vous laisse pantois, l’âme éblouie par tant de beauté mélancolique et le visage en larmes. Mysterious skin est de ces ouvrages.
J’ai eu l’occasion de lire ce livre une première fois il y a une dizaine d’années et sa lecture m’a laissé un souvenir impérissable. Aujourd’hui une relecture attentive a confirmé le monument d’émotions brutes que représente ce roman. Un chef-d’œuvre intemporel qui m’a encore bouleversé lors de cette seconde lecture.
Le récit de l’Américain Scott Heim est un chemin de vie parallèle, un double parcour de vie fracassé. L’auteur nous invite à suivre Brian et Neil, deux jeunes garçons prisonniers de la société conformiste de l’Amérique rural du Kansas dans les années 80 jusqu’au début des années 90. Dix ans, dix ans que nous allons passer au cœur de deux vies éteintes par une étreinte démoniaque. Une décennie pour rallumer la flamme et oser braver les ténèbres qui se sont penchées sur leur destin.
Le récit nous offre une narration en miroir où l’on suit les deux personnages principaux alternativement. Le portrait de ces deux êtres marqués par un évènement traumatisant est d’une finesse psychologique rarement égalée. Brian est le gamin mal dans sa peau, introverti, coincé entre un père exigeant et une mère surprotectrice. Un enfant au cri silencieux que personne ne saura entendre. Lors de ma première lecture je me souviens avoir ressenti une certaine lassitude lors de la lecture des chapitres consacrés à Brian, il faut reconnaître que, de prime abord, ce personnage paraît un peu fade face à Neil le flamboyant. Pourtant au fil du récit son parcours va prendre une ampleur insoupçonnée et Brian sera faire preuve de courage pour trouver les réponses aux questions qui le hantent. Accompagner ce personnage durant cette décennie sera, pour le lecteur, comme assisté à la longue sortie de chrysalide d’un papillon qui aurait enterré ses émotions pour mieux les retrouver une fois sa mue terminée.
En face l’auteur met en scène Neil, un personnage magnétique, immédiatement charismatique. Un enfant qui a grandi trop vite et qui ne cesse de se débattre pour échapper au carcans imposés par la société conformiste américaine. Un phénix qui illumine son entourage de sa prestance, de son sens de la provocation, qui consume le cœur de ses proches sans même sans rendre compte, qui se persuade qu’il contrôle sa vie alors qu’il n’en ait rien comme l’auteur va nous le montrer au cours du chemin de vie qui est le sien. Je me souviens que je trouvais ce personnage fascinant lors de ma première lecture, aujourd’hui je comprends que l’auteur a voulu montrer comment un traumatisme peut marquer une vie et influencer les choix d’une personne. Là où Brian apparaît comme une chenille qui doit entamé sa mue, Neil serait plus un éphémère qui brûle sa vie de tous côtés dans un tunnel de drogues, de sexe et de prostitution. Jusqu’au point de non-retour.
« Il portait un T-shirt de dragster, un blouson en vrai cuir avec des fermetures éclair semblables à des rangés de dents, et des bottes assorties. Des animaux ont été tués pour fabriquer ces vêtements, ais-je pensé. Il serait avec un couteau à cran d’arrêt dans une main, et moi dans l’autre. » Wendy Peterson décrivant sa rencontre avec celui qui finira par devenir son meilleur ami.
Pour développer ces deux personnages, aussi chargés en émotions l’un que l’autre, l’auteur a opté pour une plume différente selon qui l’on va suivre. Ainsi les chapitres consacrés à Brian font montre d’une plume contemplative, où l’introspection prend une part importante alors qu’une mélancolie diffuse imprègne toute l’atmosphère. C’est une plume plus ronde alors que les chapitres consacrés à Neil sont écrits dans un style plus acéré, plus mordants. Il faut noter que le parcours de Neil, en véritable acteur principal de sa propre tragédie, nous sont souvent contés par la vision de personnages secondaires tout aussi délicieux et attachants. Leurs points de vue sur le parcours de Neil témoignent de l’impuissance que l’on ressent parfois envers un proche qui refuse notre aide. Des chapitres poignants parcourus par des fulgurances poétiques qui illustrent la détresse psychologique des personnages.
Un récit d’une grande finesse et il n’en fallait pas moins étant donné les sujets délicats qu’il aborde. Les thèmes de la pédophilie, la sexualité précoce et la prostitution sont abordés de manière frontale mais jamais gratuite. Une finesse que l’on retrouve lors d’un final que certains jugeront abrupt mais ce serait oublié que l’auteur ne nous a jamais promis une fin heureuse, juste le chemin qui mène à celle-ci.
Résumé: Récit bouleversant de deux quêtes douloureuses, de deux destins meurtris que rien ne semble pouvoir apaiser, Mysterious skin explore, sans complaisance, sensationnalisme ni faux-semblants, la question de la pédophilie, la complexité de l’éveil sexuel et le passage à l’âge adulte. Tracé d’une plume sobre, empreint de poésie et de délicatesse, un magnifique portrait de l’enfance, dans la violence de relations troubles et traumatisantes.
Au-delà d’un simple polar urbain ce second volume de la saga d’Alan Parks publié chez rivages est surtout le portrait d’un homme fracassé, au bord du gouffre. Un officier de police chargé de faire respecte la loi mais qui franchit la ligne rouge si souvent qu’il ne doit même plus la voir. Un homme qui est la proie d’un passé qui a planté ses serres et qui le comprime plus fort de jour en jour. Alors pour échapper à ce passé dont il ne veut plus se souvenir mais qui ne cesse de le hanter il s’engouffre dans un tunnel autodestructeur fait d’alcool et de paradis artificiels.
C’était déjà perceptible dans le premier volet, Janvier noir, mais cela prend une ampleur démesurée dans cette suite. L’inspecteur McCoy s’effondre sous les yeux du lecteur. Ce n’est pas que la carapace se fend, c’est qu’il y en a plus de carapace. Ce polar est avant tout la déchéance d’un homme qui en apparence à tout pour réussir alors même que son âme s’enfonce dans un marasme sans fond.
Le fait est que le contexte social ne se prête pas à ce que notre ”héros” s’épanche sur ses traumatismes. L’action se déroule toujours à Glasgow durant les années 70 et à l’époque on ne parlait pas de ça. On serrait les dents et on avançait parce qu’il fallait être un homme pas le choix, pas de place pour les sentiments. Glasgow est toujours aussi effroyable dans ce récit. Un royaume de béton et d’asphalte où l’alcool et la drogue règnent en maîtres. Préparez vous à faire la tournée des grand ducs, du misérable troquet poussiéreux jusqu’au splendide bar avec clientèle prestigieuse, l’auteur nous a concocté une visite touristique de Glasgow bien particulière.
Ce tableau sombre, glauque et désespérée aurait été parfait s’il avait été complété par une enquête plus palpitante et moins prévisible. Il ne faut pas se lancer dans cette saga en espérant découvrir des intrigues renversantes. Le propos de l’auteur est ailleurs et il faut dire que son portrait de l’inspecteur McCoy est suffisamment percutant pour faire oublier ce défaut.
Un polar âpre et violent dont il me tarde de découvrir le troisième volet.
Résumé : Deuxième opus d’une série mettant en scène l’inspecteur McCoy et son adjoint Wattie dans le Glasgow des années 1970, sur fond de musique, drogues et gangs, dans la lignée de William McIlvanney.