Suite française: Tempête en juin (4 novembre 2016) de Moynot,Emmanuel

D’après le roman d’Irène Némirovsky

Critique : Cette adaptation en BD de Tempête en Juin par Emmanuel Moynot est assez réussie. C’est graphiquement assez proche de Tardi, le trait est un peu plus nerveux et faussement hésitant. Les personnages sont bien typés, ce qui est utile vu leur nombre important. Le grisé « débordant » rajouté sur les croquis est très réussi et donne une note tragi-poétique à l’album.
Une galerie de portraits en début d’album présente les différentes « familles »: les Péricand, bourgeois des beaux quartiers parisiens, les Michaud, petits employés de banque, Le banquier Corbin et sa maîtresse, Corte l’écrivain et sa maîtresse, quelques domestiques et les petits repentis du XVIème
L’album respecte la chronologie du roman: fin de la Drôle de Guerre , débâcle, puis début de l’occupation. Les différents chapitres sont courts, souvent dédiés à une seule famille et apportent un peu de rythme (les stukas aussi) à ce voyage impromptu et imprévu de Paris vers le centre de la France.
Cette peinture de la France de 1940 est-elle réaliste, les français avaient-ils l’âme aussi noire à l’époque? Si Irène Némirovsky fait parfois preuve d’une misanthropie exagérée, son destin tragique plaide finallemand en sa faveur.

Note : 9/10

 

  • Album: 224 pages
  • Editeur : Folio (4 novembre 2016)
  • Collection : Folio

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Chroniques de Bob Dylan

Bob Dylan replonge avec délices dans le Village de 1961, quand, jeune homme introverti, il découvrait Manhattan. Pour le chanteur folk débutant né dans le Midwest, New York est la ville de tous les possibles, de toutes les passions : nuits blanches enfumées, découvertes littéraires, amours fugaces, amitiés indestructibles. Les souvenirs de l’enfance reviennent ici comme autant d’illuminations, composant l’histoire d’un musicien de génie qui aspirait à la gloire mais ne la supportait pas. Le premier volume d’une autobiographie en roue libre qui devrait comporter trois volets.

Critique :Avec Tarentula, son roman douloureusement accouché au début des années 70, la critique n’avait pu que constater que le plus grand parolier du rock n’était pas vraiment un écrivain.
Oui, mais voilà, Dylan est un homme bourré de contradictions qui défie absolument toutes les analyses. Quand vous croyez l’avoir compris, il change de visage et devient un autre.
Ce « Chroniques, volume 1 » démontre ainsi qu’il est capable de tenir un lecteur en haleine sur plus de 300 pages en racontant sa vie, ou plutôt, de toutes petites parcelles de sa vie.
Si l’essentiel de ce livre parle de la période newyorkaise du début des sixties, les chapitres sautent du coq-à-l’âne avec une grande désinvolture… et une réelle élégance, car on accepte très vite de passer d’une époque à l’autre en compagnie d’un tel guide.
Personnellement, le passage que j’ai préféré – et que je trouve le plus révélateur – est celui consacré à l’enregistrement de l’album « Oh mercy » avec le producteur canadien Daniel Lanois. Dylan explique alors ses interrogations, ses motivations, ses sources d’inspiration et ses techniques de composition. On a parfois vraiment l’impression de regarder par-dessus son épaule tandis qu’il crée l’un de ses meilleurs albums de « maturité ».
Mais, le paradoxe des paradoxes, c’est que Dylan se révèle exactement comme on pouvait l’imaginer: un menteur génial, manipulateur né, qui nous donne brièvement l’impression d’être notre meilleur ami, avant de nous laisser à la porte des lieux où tout se fait réellement.
Car si l’auteur nous dit beaucoup de choses, il ne révèle finalement rien – ou presque – sur sa vie privée, ses amours, ses emmerdes.
Que voulez-vous, Dylan restera toujours Dylan.

Note : 10/10

 

  • Broché: 400 pages
  • Editeur : Folio
  • Collection : Folio

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La loi des Sames (14 novembre 2016) de Lars Pettersson

Anna Magnusson, jeune substitut du procureur à Stockholm, mène une existence à mille lieues de ses origines sames, que sa mère a reniées en venant vivre en Suède… Jusqu’au jour où sa grand-mère l’appelle à l’aide : son cousin Nils Mattis est accusé de viol. Chargée de trouver un arrangement avec la plaignante, Anna accepte de retourner à Kautokeino, qui n’évoque pour elle que de lointains souvenirs d’enfance.
Une fois sur place, rien ne se passe comme prévu. Traitée comme une étrangère, Anna se trouve confrontée aux lois implicites qui règnent dans ces contrées reculées. Entre les menaces qu’elle subit et les vérités qu’on lui cache, la jeune femme se rend compte que cette affaire de viol n’est que la partie émergée d’une situation bien plus complexe. Commence pour elle une périlleuse enquête, qui lui fera redécouvrir ses racines et l’univers de ses ancêtres.
Originellement conçu comme un scénario, La loi des Sames est un thriller qui se vit, se voit, se ressent.

Critique : Les Sames sont un peuple de Laponie norvégienne. Cet excellent thriller dont il faut souligner l’excellent français de la traduction met en relief les coutumes ancestrales de ce peuple éleveur de rennes et la modernité la plus crue. L’enquêtrice, substitut du procureur, est d’origine Same mais vit à Stockholm. Sa mère fut considérée comme une traîtresse par la famille en préférant une autre vie plus douce à celle, rude et impitoyable du Grand Nord. L’enquêtrice répond donc à un appel de sa grand-mère Same qui lui demande de venir au plus tôt apporter ses conseils pour défendre un de ses jeune cousins poursuivi pour viol. Nous suivons le périple de 3 semaines de cette femme de la grande ville plongée dans une dure réalité, celle des clans Sames, des non-dits, des conditions de vie extrêmes. Ce voyage ne sera pas une partie de plaisir mais à l’issue, après de multiples rebondissements et des mises en situation ambigües où ses choix seront difficiles, la jeune femme ne sera jamais plus la même, aura renoué avec un sentiment d’appatenance enfoui au plus profond, aura par sa détermination vengé et réconcilié ses hôtes avec la mémoire de sa mère. Au-delà de l’intrigue il y a dans ce livre comme une révélation d’une identité d’un peuple autochtone minuscule,fier mais pas exempt de membres corrompus. Il faut souligner enfin l’aptitude de l’auteur à décrire cette région du Finnmark, bien au-delà du Cercle polaire, son environnement, ses animaux (les rennes) sources de vie et de mort

Note : 9,5/10

 

  • Poche: 528 pages
  • Editeur : Folio (14 novembre 2016)
  • Collection : Folio Policier

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Schuss (4 novembre 2016) de Boileau-Narcejac

« On peut nous imiter, murmure-t-il. Je ne suis pas seul à travailler sur ce ski. Je suis bien obligé d’avoir des collaborateurs, au laboratoire, à l’atelier d’assemblage, bref, tout le long de la chaîne de fabrication. C’est pourquoi je vous le répète : le temps joue contre nous. Qu’on commence à murmurer « Il y a du nouveau chez Combaz », et vous verrez les concurrents pointer leur nez. Ce genre d’espionnage, ça existe. Et alors, ce sera, en moins de deux, non pas la contrefaçon mais une formule toute voisine… Enfin, quoi, je ne vais pas vous faire un dessin… »

Critique : Incontestablement, l’un des plus clairs et aussi l’un des meilleurs ouvrages du tandem policier français. Ce récit est, à la fois, merveilleux et enrageant . L’écriture est simple, par contre l’intrigue est assez bien construite. Un thème qui apparaît dans « Sueurs Froides » et « Celle qui n’était plus » réapparaîtra dans « Terminus ». C’est une vraie obsession pour ces auteurs. La personne qui tire les ficelles n’est pas celle que l’on croit. De rebondissement en rebondissement, on se laisse prendre au jeu.
Beaucoup de finesse et une très belle écriture dans la transcription des sentiments et des émotions des différents personnages.
Ce livre est un petit bijou…

Note : 9,5/10

 

  • Nombre de pages  : 224 pages
  • Editeur : Editions Gallimard (4 novembre 2016)

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Paris est une fête (4 novembre 2016) de Ernest Hemingway et Seán Hemingway

Au cours de l’été 1957, Hemingway commença à travailler sur les «Vignettes parisiennes», comme il appelait alors Paris est une fête. Il y travailla à Cuba et à Ketchum, et emporta même le manuscrit avec lui en Espagne pendant l’été 59, puis à Paris, à l’automne de cette même année. Le livre, qui resta inachevé, fut publié de manière posthume en 1964. Pendant les trois années, ou presque, qui s’écoulent entre la mort de l’auteur et la première publication, le manuscrit subit d’importants amendements de la main des éditeurs. Se trouve aujourd’hui restitué et présenté pour la première fois le texte manuscrit original tel qu’il était au moment de la mort de l’écrivain en 1961. Ainsi, «Le poisson-pilote et les riches», l’un des textes les plus personnels et intéressants, retrouve ici ces passages, supprimés par les premiers éditeurs, dans lesquels Hemingway assume la responsabilité d’une rupture amoureuse, exprime ses remords ou encore parle de «l’incroyable bonheur» qu’il connut avec Pauline, sa deuxième épouse. Quant à «Nada y pues nada», autre texte inédit et capital, écrit en trois jours en 1961, il est le reflet de l’état d’esprit de l’écrivain au moment de la rédaction, trois semaines seulement avant une tentative de suicide. Hemingway y déclare qu’il était né pour écrire, qu’il «avait écrit et qu’il écrirait encore »…

Critique : C’est de manière poétique, légère et plutôt détaillée que l’auteur relate des souvenirs qui se sont déroulés durant les années 1920. Des souvenirs qui mettent en scène de nombreuses amitiés célèbres (Gertrude Stein ou encore Francis Scott Fitzgerald), amitiés furtives ou durables, dans des lieux plus ou moins connus (Paris, Lyon, ou encore l’Autriche). Cependant, la vie d’Hemingway et de son épouse n’est pas particulièrement rose, et les débuts de l’écrivain sont plutôt difficiles: ainsi, les thèmes de la faim, du manque d’argent, voire de la souffrance du froid reviennent assez régulièrement. Mais le livre laisse au lecteur une morale plutôt optimiste : la vie se doit d’être vécue au jour le jour, de la meilleure des manières, car tout finit un jour par s’arranger. Dans un texte sensible Hemingway évoque la rencontre avec sa seconde femme et sa vie partagée entre deux femmes qu’il aime.

Note : 10/10

 

  • Poche: 352 pages
  • Editeur : Folio; Édition : édition revue et augmentée (6 septembre 2012)
  • Collection : Folio

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Sukkwan Island (4 novembre 2016) de Bienvenu,Ugo et Colin,Fabrice

Une île sauvage du Sud de l’Alaska, accessible uniquement par bateau ou par hydravion, tout en forêts humides et montagnes escarpées. C’est dans ce décor que Jim décide d’emmener son fils de treize ans pour y vivre dans une cabane isolée, une année durant. Après une succession d’échecs personnels, il voit là l’occasion de prendre un nouveau départ et de renouer avec ce garçon qu’il connaît si mal. La rigueur de cette vie et les défaillances du père ne tardent pas à transformer ce séjour en cauchemar, et la situation devient vite incontrôlable. Jusqu’au drame violent et imprévisible qui scellera leur destin.

Critique : Ce qui est frappant dans cette adaptation du sublime roman de David Vann ce n’est pas tant l’évocation de cette nature sauvage, mais les paysages  magnifiquement dessiné mais la noirceur asphyxiante de cette histoire très bien adapté par Ugo Bienvenu. Ames sensibles, abstenez-vous ! Dès les premières pages, on sait du plus profond de ses tripes que tout ça ne pourra que mal finir et à page on a envie de hurler :« NoOooon ne fait pas ça ! ou NOooOn n’y va pas ! ». Mais en vain bien sûr.
Au départ, on pense que c’est le manque de préparation de Jim et Roy qui aura des conséquences tragiques, car on ne s’installe pas pour un an sur une île subpolaire comme on va au camping ou à la pêche au saumon. Mais, au fil des pages, on se rend rapidement compte que la nature pourtant froide et sauvage n’est pas l’élément le plus hostile, et de loin pas ! Non, ce sont les hommes qui portent en eux avec toutes leurs défaillances une violence impitoyable et qui déchaînent le chaos.
 Une superbe adaptation puissante et sans concession qui va hanter le lecteur.

Note : 9,5/10

 

  • Album: 224 pages
  • Editeur : Folio (4 novembre 2016)
  • Collection : FOLIO BD

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L’ordinateur du paradis (18 août 2016) de Duteurtre,Benoît

«- Mais alors, que faites-vous de ceux qui méritent théoriquement la félicité éternelle… sans pouvoir entrer faute de place ? – Les candidats sont orientés vers des espaces d’hébergement provisoire. J’avais appris à me méfier du mot « espace » depuis que le local poubelles de mon immeuble s’était transformé en espace propreté… – Vous voulez dire des camps de réfugiés ?» Tel est le sort réservé à un inconnu qui vient d’arriver au paradis. Au même moment, sur terre, un projet de pénalisation des images pornographiques perturbe la tranquillité de Simon Laroche, haut fonctionnaire qui redoute de se voir démasqué pour ses escapades sur Internet. Une simple phrase, filmée à son insu, le précipite alors dans un engrenage cauchemardesque. Ce roman dresse le tableau noir d’une société aux prises avec la folie administrative et médiatique.

Critique : Simon Laroche découvre l’antichambre du paradis : des couloirs sans fin, des fonctionnaires apathiques, de longues attentes sur des chaises en plastique… Pour entrer dans le jardin d’Eden, il faut parfois mener une bataille administrative et judiciaire kafkaïenne ! Et attention, évitez de mentir, les sbires de Saint-Pierre ont accès à toutes vos traces numériques !
Benoît Duteurtre nous offre une jolie satire d’une société du tout numérique et pose la question de notre fragilité face à une toile, antre de nos secrets et de nos vices, où rien n’est jamais anonyme ni oublié. Il taquine la grande susceptibilité des défenseurs des minorités, le modernisme effréné mais aussi le parisianisme avec sa mise en parallèle du haut fonctionnaire pris dans une tourmente médiatique pour une phrase malheureuse quand d’autres trouvent une notoriété spontanée dans la provocation gratuite; l’auteur aborde ces questions avec humour dans un style léger très agréable à lire.

Note : 9/10

 

  • Broché: 240 pages
  • Editeur : Folio (18 août 2016)
  • Collection : Folio

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Le Royaume (25 août 2016) de Emmanuel Carrère

« A un moment de ma vie, j’ai été chrétien. Cela a duré trois ans. C’est passé. Affaire classée, alors ? Il faut qu’elle ne le soit pas tout à fait pour que, vingt ans plus tard, j’aie éprouvé le besoin d’y revenir. Ces chemins du Nouveau Testament que j’ai autrefois parcourus en croyant, je les parcours aujourd’hui – en romancier ? en historien ? Disons en enquêteur ».

Critique : Le nombre de pages à la lecture n’est pas un obstacle. Cet ouvrage se lit très vite et est souvent captivant: suivre Paul et Luc dans leurs voyages dans le pourtour méditerranéen est fort intéressant. Le monde Greco judéo romain est rendu vivant avec des détails pittoresques. Emmanuel Carrère a fait un gros travail de recherche et nous fait bénéficier de ses recherches en étant accessible sur Saint Luc, roman sur l’aventure du premier siècle du christianisme et sur sa postérité contemporaine, et plus encore roman sur la porte si étroite par laquelle les hommes peuvent envisager d’accéder au Royaume .
L’auteur illustre son propos par de nombreuses comparaisons savoureuses et drôles, bien que peut être un peu trop souvent inspirée par l’histoire du communisme, qui rend son texte percutant et imagé. Il apparaît aussi que Carrère admire d’autant plus Saint Luc qu’il semble le comprendre au point de pouvoir, en toute liberté et humilité, imaginer ce qu’il ne sait pas de lui, puis s’identifier à lui. La question n’est pourtant pas de savoir si Carrère à raison ou par lorsqu l attribue la lettre de Jacques à Saint Luc ou lorsque sa recherche le conduit, après bien d’autres, jusqu’à la fameuse source Q, les 250 versets qui, lorsqu’on les lit, résonne littéralement du son de la voix de Jésus, de son phrasé si particulier et de ses enseignements sans équivalent. Ce qui compte ce sont les raisons pour lesquelles il emprunte ce chemin et dans quel but.
En restituant parfaitement ce que l’on peut savoir du 1er siècle par. J-C., au travers de ses héros, mais aussi par l’intermédiaire d’auteurs latins comme Martial, juifs comme Flavius Josèphe et Grecs, l’auteur donne une dimension particulièrement vivante à son texte. On s’y croirait et c’est là l’effet d’une écriture savamment élaborée. L’ordonnancement du livre et de son « scénario » impressionne par sa maturité, pour aboutir dans l’épilogue à une remarquable simplicité. « Le Royaume » parvient à rester de ce point de vue la vision d’un homme, l’émanation de sa perception des choses, puisée dans l’observation d’un simple sourire comme dans la consultation des livres d’une bibliothèque trop pleine de textes érudits. Entre ces deux sources, l’auteur semble finalement avoir fait son choix, paradoxal mais logique. Toute enquête sur un autre est avant tout une quête de soi-même.

Note : 8,5/10

  • Poche: 608 pages
  • Editeur : Folio (25 août 2016)
  • Collection : Folio

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