Le don de Skullars Newton de Jean-François Chabas / 15 janvier 2020

Skullars Newton, rastafari du quartier misérable de Tivoli Gardens, en Jamaïque, est né avec un don extraordinaire : il peut lire les corps, décrypter les rouages des organismes vivants d’un simple regard. Mais ce don est aussi sa malédiction, car certains n’apprécient pas de voir leur intimité et leurs faiblesses ainsi exposées. Et seraient prêt à tuer pour s’assurer de son silence.

Chronique: Voilà sans doute ma lecture la plus étrange depuis le début de l’année, pas déplaisante, loin de là mais étrange.La particularité de ce roman est d’être à la croisée de plusieurs genres très codifiés. Le roman policier, le récit fantastique et la littérature blanche. Il en résulte une oeuvre hybride inclassable mais passionnante.Le don de ce cher Skullars est original, bien décrit et apporte au récit un atout fantastique des plus appréciables. Cependant le personnage de Skullars est un peu désincarné et passif, surtout comparé aux deux autres personnages principaux. En avançant dans la lecture on se rend compte qu’il restera en retrait de l’histoire principale. Les chapitres qui lui sont consacrés sont introspectifs et contemplatifs, ce qui est quand même dommage pour le personnage qui donne son nom à l’ouvrage. Ses souvenirs de son enfance en Jamaïque sont bien amenés à chaque fois ainsi que ses nombreuses anecdotes liées à son pouvoir mais il est dommage de ne pas le voir faire autre chose que contempler les montagnes autrichiennes ou la bagatelle avec une autochtone.Avec les chapitres consacrés à son frère ennemi, le terrible Jay-Jay « Fyah » Hearts, on verse dans le thriller d’action sanglant au rythme effréné. Ce Caïd impitoyable mais intelligent et vicieux offre une déferlante de violence digne d’un scarface ou d’un Pablo Escobar. Par contre le lien qui l’unit à Skullars n’est pas suffisamment étayé pour installer une tension narrative entre les deux protagonistes. Les deux personnages vivent leurs trames séparément et la raison de la rancoeur de Fyah paraît assez ténue.Le personnage le plus intéressant reste celui de Sissi Hearts, la sœur de Jay-Jay et éperdument amoureuse de Skullars, qui parcourt le globe à sa recherche. Sissi est une femme qui a compris qu’elle vivait dans un monde d’homme, qu’elle ne pourrait rien n’y changer mais qui a décidé de s’adapter en retournant les règles du jeu contre ces mâles dominants qui pullulent son entourage. Elle suit ses propres règles tout en offrant un masque de conformisme qui lui permet de survivre dans la haute-société.Malgré le plaisir que l’on prend à dévorer les chapitres il faut reconnaître que le récit reste assez plat, il manque un pic de tension finale qui viendrait cristalliser la rage meurtrière de Fyah et les attentes romantiques de Sissi face à Skullars qui ne cherche qu’à fuir toute cette agitation. Pour tout dire jusqu’à la dernière page j’étais persuadé de lire le premier tome prometteur d’une saga mais il n’en est rien c’est bien un roman d’un seul tenant. Ce qui n’empêche pas d’espérer relire un jour les aventures de ce personnage si original en espérant qu’il soit mieux mis en scène.

Note : 8,5/10

  • Broché : 378 pages
  • Editeur : Calmann-Lévy (15 janvier 2020)
  • Collection : Littérature Française
  • Langue : Français
  • ISBN-10 : 270216546X
  • ISBN-13 : 978-2702165461

91gpprs6dyl1102819248.jpg

Brève histoire de sept meurtres (17 août 2016) de Marlon James

Kingston, 3 décembre 1976. Deux jours avant un concert en faveur de la paix organisé par le parti au pouvoir, dans un climat d’extrême tension politique, sept hommes armés font irruption au domicile de Bob Marley. Le chanteur est touché à la poitrine et au bras. Pourtant, à la date prévue, il réunit 80 000 personnes lors d’un concert historique. Construit comme une vaste fresque épique abritant plusieurs voix et des dizaines de personnages, ce livre monumental, couronné par le Man Booker Prize 2015, nous entraîne en Jamaïque et aux États-Unis, des années 1970 à nos jours. Convoquant hommes politiques, journalistes, agents de la CIA, barons de la drogue et membres de gangs, il s’interroge avec force sur les éternelles questions du pouvoir, de l’argent, de la politique et de la violence du monde.S’affirmant ici comme le fils spirituel de Toni Morrison et James Ellroy, Marlon James signe un livre hors normes, tour à tour sombre, drôle, cru, et toujours passionnant, signe d’une rare ambition littéraire et d’un talent prodigieux.
« Un roman à la fois terrifiant, lyrique et magnifique, écrit par l’un des jeunes auteurs les plus talentueux d’aujourd’hui. » Russell Banks

Critique : Le roman tourne autour d’un événement capital pour la Jamaïque : la tentative d’assassinat de Bob Marley le 5 décembre 1976. Deux partis se disputent le pouvoir : le PNP à gauche et le JLP à droite. Or le JLP craint que le gouvernement au pouvoir, le PNP, ne profite de l’immense popularité dont jouit Bob Marley pour gagner les élections à venir qui doivent avoir 2 mois après le concert. Cette crainte est renforcée par l’affiche du concert : “Concert présentes by Bob Marley in association with the Cultural Département of the Gouvernement of Jamaica”. L’ordre est alors donné d’abattre Bob Marley pour créer le chaos et espérer voire émerger un nouveau gouvernement, loin des idées gauchistes. Le livre se focalise ainsi sur les 7 assassins et les témoins de la tentative d’assassinat en les suivants sur plusieurs décennies. On y parle de politique, de la CIA (que l’auteur désigne implicitement comme le donneur d’ordre dans le but d’éviter que le communisme ne s’invite en Jamaïque) de gangsters (aux mains des politiques) et de drogue, le tout sur fonds de meurtres, de misère, de ghetto et de sexe.
La narration est à la première personne, l’auteur se glissant dans la tête de ses personnages. Le style ne change que peu et l’argot domine. Une écriture rafraîchissante mais on ressent une certaine usure vers 400ème pagé… Le livre est un peu trop long, d’autant que les mêmes scènes sont parfois racontées par tous les personnages incriminés. Et si les chapitres sont généralement courts pour donner un peu de rythme, on se retrouve avec des chapitres de plus de 50 pages. L’auteur adopte le ton de ses personnages, les rend vivants, parfois attachants, parfois terrifiants. Certains ne font qu’un passage éclair, d’autres s’expriment sur des centaines de pages autre petit point négatif et que certains personnages changent de nom en cours de route. Il faut donc s’accrocher pour suivre. C’est violent, brutal, triste, désespérant même mais c’est aussi d’une incroyable beauté. Il est impossible d’abandonner la lecture du livre, d’abandonner ne serait-ce qu’un seul de ces personnages quasiment tous inspirés de personnes réelles, malgré les petits défauts évoqués on ressors de cette histoire qui permet aux lecteurs d’avoir un regard unique sur la Jamaïque.

Note : 8,5/10

 

  • Broché: 864 pages
  • Editeur : ALBIN MICHEL (17 août 2016)
  • Collection : Terres d’Amérique
  • Prix : 25 euros

512t5DPJnIL._SX339_BO1,204,203,200_.jpg