Le problème avec la paix, l’âge de la folie tome 2 de Joe Abercrombie

Il n’est pas toujours facile, pour les auteurs, de trouver le ton adéquat pour narrer les histoires qui leur trottent dans la tête. Tant a déjà été fait, qu’il peut paraître ardu de proposer quelque chose de neuf.

Joe Abercrombie a choisi lui. Ses saga déploient un ton caustique, acide et sarcastique qui dépoussière le genre. On pourrait lui reprocher d’avoir trouvé une formule qu’il réitère depuis sa première trilogie, La première loi. Mais lorsqu’on aime on est rarement rassasié.

Toute la force des récits d’Abercrombie repose sur le dynamisme des dialogues, à coups de sous-entendus grinçants, de menaces voilées, de répliques lapidaires. Pour qui aiment les échanges construits sous forme de ping pong narratif, les dialogues sont comme une boîte de bonbons acides, ça pique la langue mais on en redemande.

Des dialogues qui sont servis par des personnages à la psychologie travaillée. L’auteur met en scène une galerie de personnages névrosés, à la morale ambivalente, aux actions contradictoires. Le récit ne comporte pas vraiment de héros ni d’antagoniste clair, du moins pour les personnages principaux. De véritables paradoxes ambulants emportés par le fleuve de l’Histoire.

Là où d’autres auteurs vont déplacer leurs pions lentement sur leur échiquier, dévoiler progressivement les desseins des protagonistes, Abercrombie lui place le lecteur au coeur de l’échiquier. On assiste en direct aux trahisons, aux réunions secrètes des comploteurs, aux décisions unilatérales qui entraînent la mort de milliers d’innocents. L’impression d’être au cœur d’une trame tentaculaire où chaque pion dissimule une paire de poignards n’a jamais été aussi forte.

Puis, alors que chaque pièce est à sa place, voilà que l’auteur sonne l’alalie. Les armées s’entrechoquent et le sang commence à couler dans une sarabande mortelle où l’auteur convient le lecteur à assister à un massacre impitoyable à hauteur d’homme. Un passage obligé dans les récits d’Abercrombie et qui est toujours aussi jouissif.

Le verbe acide et la profondeur des personnages font de cette saga un incontournable de la fantasy. Des atouts qui font oublier la pauvreté des descriptions et l’absence de carte.

Résumé : Ancienne reine des affaires à Adua, Savine dan Glokta a tout perdu lors des émeutes de Valbeck. Sa fortune, son flair et sa réputation… Il ne lui reste plus que son ambition et une solide absence de scrupules.

Pour un héros de guerre comme Leo dan Brock, la paix est une source d’ennui et de frustration. Mais avant de repartir au combat, il lui faut forger des alliances… et la diplomatie n’est pas son fort. Pendant ce temps, son amie Rikke lutte pour maîtriser son don maudit – avant qu’il finisse par avoir sa peau.

Fraîchement couronné, Orso doit avant tout se garder des coups de poignard que lui réservent ses « partisans ». Sans pour autant négliger ses ennemis désireux de libérer le peuple de ses chaînes, les nobles, concentrés sur leurs intérêts privés, ou encore les créanciers qui l’attendent au tournant de la dette.

L’ancien temps est mort et ses monarques avec. Les nouveaux découvriront vite que rien n’est éternel. Ni les pactes, ni les allégeances… ni la paix.

ASIN ‎B09HJX6ZQ8
Éditeur ‎Bragelonne (5 janvier 2022)
Langue ‎Français
Broché ‎624 pages
ISBN-13 ‎979-1028112202

L’Âge de la folie, T1 : Un soupçon de haine de Joe Abercrombie , et une grande rasade de plaisir

Dans le ciel d’Adua, les cheminées industrielles crachent leur fumée et le monde nouveau regorge de possibilités. Mais les temps anciens ont la peau dure. À la frontière du Pays des Angles, dans un bain de sang, Leo dan Brock cherche à se couvrir de gloire… et à écraser les hordes de maraudeurs. Pour vaincre, il a besoin du soutien de la couronne. Hélas, le prince Orso ne vit que pour trahir…

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Chronique : Difficile de retranscrire en quelques mots la joie que j’ai eu en découvrant que j’allais avoir l’occasion de lire en exclusivité le nouveau roman de Joe Abercrombie. Cet auteur anglais de fantasy est le plus doué mais également le plus irrévérencieux que j’ai pu lire. En cela il s’apparente à ce camarade de classe au lycée qui passait son temps à sécher les cours et défier l’autorité tout en obtenant les meilleures notes.

Abercrombie s’amuse en effet à tordre les codes du genre dans lequel il a décidé de devenir l’une des têtes d’affiche, la fantasy, un genre qui est devenu extrêmement codifié au fil des décennies, au point de paraître parfois sclérosé. Avec deux trilogies déjà parues, trois récits indépendants et un recueil de nouvelles l’auteur est parvenue à redéfinir les codes de la fantasy. Sa recette pour y parvenir est simple, une intrigue faites de complots, de trahison et de guerres absurdes, le tout servie par des personnages complexes à la personnalité bien étudiée et des dialogues taillés sur mesure.

Avec ce premier volume de L’âge de raison il entame le second cycle qui développe l’univers de La première loi, sa toute première saga, dont le twist final m’avait laissé pantois tellement je ne l’avais pas vu venir. Évidemment la lecture de cette première trilogie est chaudement recommandée si vous voulez saisir toutes les références distillées dans le présent ouvrage ainsi que le nouveau statu-quo politique et géopolitique. Les amateurs de cette saga initiale se retrouveront vite en terrain connu tandis que les lecteurs imprudents risquent de sentir une certaine frustration à ne pouvoir saisir toutes les subtilités de l’intrigue. L’auteur profite de ce second cycle se déroulant dans le même univers pour casser un autre code de la fantasy qui veut que le progrès reste au point mort dans les univers fantastiques, condamnés à stagner éternellement dans un moyen Âge où la technologie n’évolue pas. Ici Abercrombie invite la révolution industrielle dans son récit avec toutes les conséquences que cela entraîne.

Mais trêve de tergiversations, ce premier volume d’un nouveau cycle se révèle-t-il à la hauteur des attentes ? En ce qui me concerne c’est un grand oui même s’il faut reconnaître que l’auteur se contente d’aiguiser sa plume avec les mêmes outils et que les connaisseurs de son style ne sauront guère surpris à la lecture ce nouveau roman. Mais la formule à beau être connue elle n’en reste pas moins acérée et efficace.

Ladite formule repose sur des ingrédients simples que certains auteurs, de fantasy mais pas uniquement, feraient mieux de reprendre à leurs comptes. Une formule qui consiste à laisser la part belle aux dialogues ciselés et où chaque personnage rivalise de sarcasmes et de réparties cinglantes. Des dialogues soutenus par des personnages complexes, perclus de contradictions, de ressentiments, d’ambitions, de désir, en somme des personnages profondément humains auxquels l’auteur parvient à accorder de l’épaisseur en quelques réflexions intérieures qui nous font part de tous leurs paradoxes.

Les protagonistes principaux sont nombreux mais l’auteur parvient à laisser de la place à chacun d’entre eux, y compris les personnages secondaires. Certains d’entre eux répondent aux figures classiques de la fantasy mais toujours avec cette touche grinçante signée Abercrombie. D’autres par contre sont des parfaits exemples de personnalités que nous adorons détester à travers les médias et les réseaux sociaux. Ainsi le prince dépravé Orso, exemple typique de la décadence royale, fait écho à une certaine Paris Hilton, mais le dégoût qu’il inspire à la population n’est jamais aussi grand que celui qu’il ressent envers lui-même. À l’opposé la déterminée Savine renvoie à l’image du capitaine d’industrie avide de profit et peu regardant sur les conditions de travail de ses employés, mais son cynisme et son ambition cachent une impuissance face à la pression sociale et une rage qui la pousse à prouver au monde sa valeur. Le premier tiers du récit permet de faire connaissance avec tout ce beau monde avant que l’action ne déferle de manière irrémédiable.

Les scènes d’action sont autre atout du récit, là où d’autres auteurs s’attachent à détailler précisément la moindre action ainsi que le moindre brin d’herbe du champ de bataille, Abercrombie lui va nous décrire la bataille pour ce qu’elle est vraiment, une apocalypse sans nom où mille choses se déroulent en même temps, où la bravoure est aussi rare que l’honnêteté en politique, où la survie tient plus de la chance que de l’expérience. Il adopte le point de vue d’un spectateur lambda qui assisterait à une scène de bataille médiévale sans en connaître le vocabulaire pour narrer simplement des scènes de combat réalistes. Il en résulte une grande clarté dans ces scènes où souvent les protagonistes sont tout aussi désemparés que le lecteur.

L’ouvrage offre peu de descriptions et l’auteur ne s’attarde guère sur cet aspect de la narration, sans doute a-t-il conscience que cela n’est pas le point fort de sa plume mais peu importe au final car l’intrigue, qui n’a fait que se dévoiler partiellement durant ce premier tome, et les personnages suffisent amplement à accomplir le voyage sur les terres de l’Union. L’intrigue est un entrelacs de complots et de conflits territoriaux auréolé de revendications sociales qui font bien sûr échos aux troubles qui secouent nos chers pays occidentaux.

Avec cet auteur il faut s’attendre à tout, et même si mes connaissances sur son univers me permettent de voir parfois les ficelles de son intrigue je m’attends à être agréablement surpris dans les tomes suivants dont je vais ardemment surveiller la parution.

  • Poids de l’article : 740 g
  • Broché : 528 pages
  • ISBN-13 : 979-1028118341
  • Dimensions : 15.4 x 4.2 x 23.8 cm
  • Éditeur : Bragelonne (2 décembre 2020)
  • Langue : : Français