Le bonheur national brut de François Roux, quatre garçons dans le vent

Récit initiatique, portrait d’une époque et réflexions sur la signification du bonheur, il y a un peu de tout ça dans cet ouvrage de François Roux sorti en 2014.

Encore une fois j’ai dû revoir à la baisse mes attentes de lectures. Je m’attendais à renouer avec les années 80, que j’affectionne particulièrement puisqu’elles m’ont vu venir au monde. Hors la narration de l’auteur s’ingénie à creuser le portrait de ses personnages en délaissant quelque peu la représentation de la France de cette époque. La retranscription de cette décennie bouillonnante reste donc assez sommaire. Peu importe il reste les personnages et leurs portraits psychologique, véritable attraction de cet ouvrage.

Des personnages que l’on rencontre à l’aube de l’âge adulte, décrit comme des diamants bruts qui vont peu à peu s’affiner sous la plume de l’auteur. Patiemment, au fil des chapitres, les morceaux de bois grossiers qu’ils étaient dans les premiers chapitres prennent une forme plus distingués, à mesure qu’évolue leur psychologie, savamment affûté par une plume consciencieuse. On a vite fait d’associer ces quatre personnages à des animaux totem.

À Rodolphe, l’éternel colérique dont l’énergie semble alimentée par une rage dont il ignore l’origine, c’est l’image de l’ours qui s’est imposé tandis que l’image du loup affamé se surperpose au portrait de Tanguy. Ces deux hommes, qui doivent faire face à leurs choix et à l’image séculaire du père, sont au final les deux aux parcours le plus touchant alors même qu’ils étaient insupportables aux prémices de cette fresque.

Benoît, l’albatros qui plane loin au-dessus des simples considérations des mortels, m’a plus ennuyé. Difficile de rendre palpitant le chemin de vie d’un personnage sur qui tout glisse tel des gouttes d’eau. Enfin Paul, le narrateur principal, est une cigale qui se laisse doucement porter par ses rêves, confondant de naïveté et d’un naturel placide qui a fini par me lasser.

Il n’en reste pas moins que le récit est passionnant. Voir ces enfants grandir, se heurter à la vie et ses vicissitudes est un plaisir qui ne s’affadit jamais au cours de la lecture.

Résumé :

Le 10 mai 1981, la France bascule à gauche.
Pour Paul, Rodolphe, Benoît et Tanguy, dix-huit ans à peine, tous les espoirs sont permis.

Trente et un ans plus tard, que reste-t-il de leurs rêves, au moment où le visage de François Hollande s’affiche sur les écrans de télévision ?

Le bonheur national brut dresse, à travers le destin croisé de quatre amis d’enfance, la fresque sociale, politique et affective de la France de ces trois dernières décennies. Roman d’apprentissage, chronique générationnelle : François Roux réussit le pari de mêler l’intime à l’actualité d’une époque, dont il restitue le climat avec une sagacité et une justesse percutantes.

Éditeur ‎Albin Michel (20 août 2014)
Langue ‎Français
Broché ‎688 pages
ISBN-10 ‎2226259732
ISBN-13 ‎978-2226259738

Vous plaisantez monsieur Tanner de Jean-paul Dubois, Déboire zinc et marteau

Avec ce récit court, l’expert de l’ironie douce-amère nous conte la progression désastreuse d’un chantier domestique qui va exiger énormément à son propriétaire.

Inutile d’attendre une quelconque densité dans les personnages ou la narration, le propos de l’ouvrage est ailleurs. Les chapitres sont courts, les anecdotes tantôt hilarantes, tantôt sidérantes sonnent malheureusement de manière très réaliste.

Il faut plutôt voir l’ouvrage comme une bonbonnière dans laquelle chaque chapitre serait une friandise. Une bêtise de Cambray ou un calisson dont le raffinement artisanal dissimulerait toute une gamme de saveur qui vous fera passer du rire aux larmes en une tournure de phrase. C’est la marque de fabrique de cet auteur, une fois que l’on a accepté le partis pris de ne pas vraiment développer le narrateur comme un personnage à part entière on se régale avec cette confiserie.

L’auteur n’oublie pas pour autant que l’emballage compte autant que la sucrerie à l’intérieur. Ainsi sa plume offre de jolies énumérations, des réflexions sur le concept de propriété, des figures de style en pagaille qui seront autant de délices pour ceux qui se nourrissent de littérature. Sans oublier les portraits absolument exquis des différents artisans qui viendront pimenter le quotidien harassant de ce pauvre M.Tanner.

Et voilà qu’à peine entamé la réserve de sucrerie est déjà vide mais ainsi fonctionne l’auteur, ne pas gaver le lecteur au risque de frôler l’indigestion. Une recette satisfaisante qui pousse le lecteur gourmand à ingurgiter très vite un autre de ces récits aux mille saveurs.

Résumé : À la mort de son oncle, Paul Tanner hérite d’une immense maison qu’il entreprend de rénover accompagné de professionnels. Il ne présage pas l’orage qui menace : maçons déments, couvreurs délinquants, électriciens fous, tous semblent s’être donné le mot pour rendre la vie impossible à monsieur Tanner. Chronique d’un douloureux combat, galerie de portraits terriblement humains, une comédie noire orchestrée par des hommes de chantier.

Éditeur‎Points (14 décembre 2020) Langue‎Français Poche‎216 pages ISBN-10‎275788865X ISBN-13‎978-2757888650

Kafka sur le rivage de Haruki Murakami, une fable onirique et loufoque

Prudence à toi lecteur qui s’apprête à pénétrer les territoires mystérieux de Murakami. Dépose ton esprit cartésien, tes attentes de lectures formatées et tes repères de lecteur occidental. Tu t’apprêtes à embarquer dans une épopée hors-normes où règne l’absurde et l’introspection.

D’une plume fluide l’auteur tisse l’odyssée miroir de deux êtres dissemblables dans leur approche de la vie. Au jeune fugueur Kafka, accablé par une prophétie paternelle qu’il réfute de tout son être, la mélancolie, la solitude, la rationalité et l’introspection. À l’excentrique Nakata, l’insouciance, l’innocence, l’humour et l’absurde.

Il serait dommage de s’arrêter aux scènes purement loufoque de l’ouvrage tant il recèle d’hommage à toutes les formes d’art, à commencer par le mythe d’Œdipe qui renvoie à la mythologie grecque. Mais l’art pictural occupe une place importante, l’auteur cite également le réalisateur François Truffaut. L’art qui occupe une place primordiale dans le récit, il façonne le destin de Kafka et agit comme autant de repères culturels et cimente un parcours fait d’interrogations sans réponses et de théories alambiquées.

Un récit si dense dans son propos et truffés de références qu’il en est presque insultant d’essayer d’en parler dans un espace aussi réduit. Un livre qui pousse à la réflexion en pleine lecture et qui hante encore une fois achevé. Un livre rare. Un livre que j’aurais aimé étudié au lycée.

Résumé : Un adolescent, Kafka Tamura, quitte la maison familiale de Tokyo pour échapper à une malédiction œdipienne proférée par son père. De l’autre côté de l’archipel, Nakata, un vieil homme amnésique, décide lui aussi de prendre la route. Leurs deux destinées s’entremêlent pour devenir le miroir l’une de l’autre, tandis que, sur leur chemin, la réalité bruisse d’un murmure envoûtant.

Éditeur‎10 X 18 (25 août 2011) Langue‎Français Poche‎648 pagesISBN-10‎2264056169ISBN-13‎978-2264056160 Poids de l’article‎399 g Dimensions‎11 x 4 x 17.8 cm

Trois de Valérie Perrin, c’est une valse…

Ce livre est une valse, une valse à trois temps enchanteresse.

Dès la première page Valerie Perrin nous prend par la main et nous entraîne dans une sublime danse dans laquelle on se sent immédiatement en confiance. Les voix des trois personnages principaux, Adrien, Nina et Étienne se superposent pour créer le rythme d’une douce mélodie qui nous enrubanne dans un cocon soyeux comme seuls les vrais conteurs savent le faire.

Oubliez tout de suite la volonté de progresser dans le récit afin de démêler les mystères qui entourent nos trois amis. Si vous lisez Trois uniquement pour les révélations concernant chaque intrigue, vous risquez de ne pas apprécier ce tour de piste que vous offre l’auteur. Les secrets n’ont rien d’exceptionnels, il n’y a pas de twist fracassant pour la simple et bonne raison que le propos de l’ouvrage est ailleurs.

Pour mieux apprécier la lecture il faut appréhender chaque chapitre comme si un vieil ami sonnait à votre porte à l’improviste et se livrait à cœur ouvert autour d’un bon café, les mots se bousculent sur sa langue alors que l’émotion est palpable. Des moments que la vie nous offre rarement Valerie Perrin nous en fait l’offrande tout au long de son magnifique roman. Une valse intime et pudique où chaque personnage possède une profondeur rarement égalée.

Notre trio inséparable est bien sûr d’une candeur émouvante mais le moindre personnage secondaire possède sa voix, son épaisseur, son propre rythme qui s’insère parfaitement dans l’ensemble de la partition rédigé par l’auteure. La plume est d’une richesse narrative exquise et renforce le plaisir d’être plongé dans les existences de ses trois amis que l’on quitte à regret.

En quelque 600 pages ce sont trois décennies, trois destins qui ont pris vie sous nos yeux et Dieu que j’aimerais danser plus souvent de cette manière dans mes lectures.

Résumé: 1986. Adrien, Etienne et Nina se rencontrent en CM2. Très vite, ils deviennent fusionnels et une promesse les unit : quitter leur province pour vivre à Paris et ne jamais se séparer. 2017. Une voiture est découverte au fond d’un lac dans le hameau où ils ont grandi. Virginie, journaliste au passé énigmatique, couvre l’événement. Peu à peu, elle dévoile les liens extraordinaires qui unissent ces trois amis d’enfance. Que sont-ils devenus ? Quel rapport entre cette épave et leur histoire d’amitié ?

  • Éditeur ‏ : ‎ Albin Michel (31 mars 2021)
  • Langue ‏ : ‎ Français
  • Broché ‏ : ‎ 672 pages
  • ISBN-10 ‏ : ‎ 2226451145
  • ISBN-13 ‏ : ‎ 978-2226451149

Retour sur l’année 2020 avec mes meilleures lectures de littérature générale

Dissimulés parmis toutes mes lectures policières et fantastiques de l’année 2020, quelques livres de littérature française générale se sont glissés et ont su m’accaparer tant par leurs styles que par leurs histoires. Certains d’entres eux se rapprochent d’ailleurs beaucoup de la littérature noire de par leurs thèmes, leurs personnages et leurs atmosphères pesantes. L’heure n’est pas encore aux bonnes résolutions pour l’année prochaine mais je vais pourtant en prendre une dès maintenant, celle de lire plus de littérature générale, qu’elle soit d’origine française ou étrangère. Cela va me demander un peu d’effort et de discipline, et surtout d’arrêter de me faire piéger par des quatrième de couverture mensongères. En attendant je vous laisse découvrir ce classement composé de cinq ouvrages qui m’ont marqué en cette troublante année.

1 Derrière les panneaux il y a des hommes de Joseph Incardona

On commence fort avec l’un des romans le plus pessimiste qu’il m’ait été donné de lire cette année. Un roman d’une noirceur absolue, une atmosphère étouffante, des scènes d’une crudité malsaine et une cruauté implacable. Tels sont les éléments qui parcourent ce roman sans concessions. Une roman d’une beauté saisissante, une beauté sombre et inavouable. Un roman où les réflexions personnelles des personnages sont des tirs de sniper qui visent juste à chaques fois.

https://culturevsnews.com/2020/09/22/derriere-les-panneaux-il-y-a-des-hommes-de-joseph-incardona-lorsque-lasphalte-nous-rappelle-notre-condition-humaine/

2 Mon père de Grégoire Delacourt

En seconde place se trouve à nouveau un livre d’une noirceur insondable. La douleur d’un homme face à l’horreur. La rage d’un père impuissant face au traumatisme de son enfant. La tristesse d’un catholique qui se voit confronté aux limites de sa foi. Un livre que l’on achève les joues striés de larmes et le ventre noué par des hauts-le-cœur.

https://culturevsnews.com/2020/09/07/mon-pere-de-gregoire-delacourt-et-de-lignoble-surgit-la-beaute/

3 Comment cela finit de Saskia Sarginson

On passe à un recit plus positif mais tout aussi poignant. Il faut laisser à l’auteur le temps d’installer son récit avant d’avoir la possibilité de lire des scènes d’une tendresse qui arracheront des larmes même aux cœurs le plus endurcis. Les personnages sont d’une justesse rarement égalée et le destin de Hedy constitue la véritable force du récit.

https://culturevsnews.com/2020/02/21/comment-cela-finit-de-saskia-sarginson/

4 L’emprise de Marc Dugain

On repart sur un roman noir, non pas par l’atmosphère pesante mais par son cynisme et son pessimisme. La nature humaine n’est pas à l’honneur dans ce récit qui prend des airs de chronique d’espionnage. Le style journalistique de l’auteur évite l’emphase et permet de prendre la mesure de la gangrène qui règnent dans le paysage politique français.

https://culturevsnews.com/2020/02/21/comment-cela-finit-de-saskia-sarginson/

5 Le petit Lebanski de Stéphane Chamak

On finit ce classement par le seul auteur auto-édité que j’ai lu cette année. La raison est toute simple j’emprunte les livres en médiathèque où les auto-édités sont rares malheureusement et je dispose d’un budget serré, d’ailleurs parmis les livres de ce classement figure un seul livre envoyé par une maison d’éditions. L’auteur m’as fait l’honneur de me contacter personnellement et de m’envoyer son roman . J’ai eu le plaisir de découvrir une plume qui manie aussi bien le sarcasme, le cynisme, l’humour grinçant mais aussi l’intime. Si toute la partie burlesque du récit est plaisante à suivre c’est lors de ces scènes intimes que l’auteur démontre tout son talent à travers la relation de ce fils et son père perclus de non-dit douloureux. Un auteur à découvrir et qui nous réserve de belles surprises à l’avenir.

https://culturevsnews.com/2020/08/04/le-petit-lebanski-de-stephane-chamak-quand-la-vie-vous-ricoche-sur-la-figure/

Trois jours et une vie de Pierre Lemaitre

« À la fin de décembre 1999, une surprenante série d’événements tragiques s’abattit sur Beauval, au premier rang desquels, bien sûr, la disparition du petit Rémi Desmedt.
Dans cette région couverte de forêts, soumise à des rythmes lents, la disparition soudaine de cet enfant provoqua la stupeur et fut même considérée, par bien des habitants, comme le signe annonciateur des catastrophes à venir.
Pour Antoine, qui fut au centre de ce drame, tout commença par la mort du chien… »

Critique : Ce nouveau livre de Pierre Lemaître est une histoire touchante que celle de ce jeune garçon de douze ans confronté à une situation dramatique. Un drame absolu, dont il est le protagoniste, et à travers lequel il devra survivre et se construire. Tout ça, découlant de la mort du chien des voisins… C’est un roman qui raconte tout autant ce drame indicible que la vie dans une petite bourgade entourée de forêts, où tout le monde se connaît et où tout le monde se juge. Une description de la vie d’un village à la fin de l’année 1999. On va traverser cette tragédie aux côtés du jeune Antoine ; au plus près de lui, de ses pensées, de sa perception d’une telle situation du haut de ses douze ans. on le suit, pas à pas, durant les premiers jours qui suivent la disparition d’un autre enfant. Nous découvrons, à travers lui les relations interpersonnelles des habitants. L’histoire est touchante parce qu’elle parle d’enfants et décrit ce drame humain avec beaucoup de délicatesse et de subtilité, ce qui est dommage c’est que ce roman soit court. On aurait aimé passer davantage de temps à Beauval, à côtoyer ces personnages, leurs failles et leurs doutes. Le style paraît moins enlevé et c’est vrai que je n’ai pas interpellé mon époux pour lui lire quelques passages dont la musique des mots transporte … tout est diffèrent ici mais la magie opère: le talent de Pierre Lemaître de nous installer le décor, les personnages, le suspens.
Et la fin surtout, vous pensez que c’est classique en réalité on y repense encore et encore après avoir fermé le livre… Est-ce un « accident » qui fait basculer votre vie ou le poids de l’entourage, les secrets de chacun, la lâcheté?
C’est un roman simple, limpide et prenant, proche des gens et dégageant une belle sensibilité. À lire sans aucun doute.

Note 9/10

 

  • Broché: 288 pages
  • Editeur : ALBIN MICHEL (2 mars 2016)
  • Collection : LITT.GENERALE

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