Une vie comme les autres de Hanya Yanagihra

Mécanique du mélodrame

Avec ce retour en demi-teinte sur un roman qui a eu un tel retentissement, je ne vais pas m’attirer que des réactions amicales mais peu importe.

Une vie comme les autres n’a donc pas été le ravissement littéraire attendu. La faute tout d’abord à la plume de l’autrice qui m’a laissé complètement froid. J’ai trouvé son style mécanique, manquant de cette grâce et ce lyrisme nécessaire lorsqu’il s’agit de conter le destin de plusieurs personnages.

Les 500 premières pages furent ainsi le témoin de mon profond ennui. Je n’ai pu m’intéresser à aucun paragraphe du récit de cette bande d’amis, jeunes adultes qui vivent leurs meilleures années à New York. J’ai trouvé les personnages transparents, à part J.B. l’artiste égocentrique et Jude bien sûr. Le reste des personnages manquent de charisme et se démarquent uniquement par sa dévotion totale envers Jude.

Ah Jude, pauvre Jude. S’il faut bien reconnaître une qualité au style de Hayanamura c’est son côté méthodique qui permet de dresser un portrait psychologique extrêmement précis de ce personnage complexe.
Sa relation sentimentale, ses démons intérieurs, ses troubles psychologiques, tout cela est détaillé de manière à se rendre compte de la difficulté, voire de l’impossibilité, à guérir de son passé.

À partir du moment où il devient le personnage principal du récit, il est bien sûr impossible de ne pas ressentir d’empathie pour lui et toutes les horreurs qu’il a subies.

Mais c’est là aussi ce que je reproche à l’autrice. Cette surenchère dans le malheur a fini par me désolidariser du sort de Jude. J’avais l’impression que l’on cherchait par tous les moyens à me tirer une larme sur la vie tragique de Jude et ce genre de stratagème fonctionne rarement sur moi.

Pourtant j’aurais vraiment voulu ressentir de l’empathie pour cette bande d’amis dévoués, j’aurais aimé être anéanti à l’évocation du passé douloureux de Jude mais à trop vouloir en faire l’autrice a fini par me lasser sans jamais parvenir à me captiver complètement.

Résumé : Ils sont quatre amis de fac, et ils ont décidé de conquérir New-York : Willem, l’acteur à la beauté ravageuse ; JB, l’artiste peintre, aussi ambitieux et talentueux qu’il peut être cruel ;Malcolm, qui attend son heure dans un prestigieux cabinet d’architectes ; Jude, le plus mystérieux d’entre eux, celui qui, au fil des années, s’affirme comme le soleil noir de leur quatuor, celui autour duquel les relations s’approfondissent et se compliquent cependant que leurs vies professionnelles et sociales prennent de l’ampleur.

Éditeur ‎Le Livre de Poche (30 octobre 2019)
Langue ‎Français
Poche ‎1128 pages
ISBN-10 ‎2253100560
ISBN-13 ‎978-2253100560

La dernière ville sur terre de Thomas Mullen

Guerre, grippe et grève

La dernière ville sur terre permet à Thomas Mullen de mettre en scène une période de l’histoire américaine très agité et dense. Un premier roman qui a fait l’objet d’un travail de documentation historique impressionnant de la part de l’auteur.

D’une plume appliquée et rigoureuse l’auteur dresse le portrait de personnages dotés d’un lourd passé ou de convictions inébranlables. Des figures résistantes qui ont façonné l’histoire des États-Unis. Rebecca, la militante infatigable, Graham, l’ouvrier qui porte en lui le deuil de son premier amour et une rage irrépressible, Philip, l’orphelin qui souhaite faire ses preuves auprès de la communauté mais ne mesure pas le prix à payer.

Des portraits saisissants qui nous emportent dans une période de l’histoire que l’on étudie peu à l’école mais qui aurait pu être encore plus immersive si l’auteur avait su alléger sa plume. Soucieux de dresser le portrait psychologique le plus détaillé possible, l’auteur n’échappe pas aux digressions et aux passages oniriques qui alourdissent le texte.

Hormis cette rigidité dans le style, qui reste agréable, l’auteur met en avant une quantité non négligeable d’éléments historiques intéressants. Le traitement ignoble des objecteurs de conscience, la lutte sanglante des syndicats de la scierie pour de meilleures conditions de travail, la propagande gouvernementale pour la mobilisation dans l’armée et bien sûr l’épidémie de grippe espagnole. Tous ces éléments disparates sont réunis par l’auteur avec virtuosité, formant un arrière-plan historique des plus passionnants.

Il est regrettable que l’auteur ne soit pas parvenu à enrober ce tableau historique très détaillé avec une plume plus romanesque et moins didactique mais en l’état ce roman demeure une lecture passionnante par moments et offre un point de vue inédit sur la première guerre mondiale.

Résumé : Durant l’épidémie de grippe espagnole, une petite ville industrielle située au cœur des forêts brumeuses du Nord-Ouest Pacifique décide de se mettre en quarantaine, mais l’arrivée d’un soldat affamé et malade aura des répercussions terribles sur la communauté.

Éditeur ‎Rivages (4 janvier 2023)
Langue ‎Français
Broché ‎560 pages
ISBN-10 ‎2743658444
ISBN-13 ‎978-2743658441

L’enfant qui voulait disparaître de Jason Mott

Courir après sois-même

Ce roman au ton volontairement burlesque nous entraîne à la poursuite d’un narrateur, l’auteur lui-même peut-être, dans une fuite en avant qui s’apparente à une quête désespérée pour se réconcilier avec soi-même.

On fait connaissance avec notre héros, en pleine promotion de son ouvrage, L’enfant qui voulait disparaître, alors qu’il échappe aux poings d’un mari jaloux, à peine s’il a le temps de s’engouffrer dans l’ascenseur. Accessoirement il est aussi nu comme un ver. 

Le ton est donné. Il sera haut en couleur. D’un jaune solaire comme les rayons d’humour, souvent grinçant et ironique, qui illuminent l’ouvrage. D’un vert cynique lorsqu’il s’agit de dépeindre le milieu de la promotion. D’un rouge écarlate lorsque la violence du monde s’invite dans l’univers bariolé du narrateur. Et puis il y a le noir, couleur charbon, que l’on tente d’ensevelir sous la futilité d’une vie frénétique. 

Car sous les couleurs chatoyantes se cache la souillure d’une enfance brisée par le harcèlement et le racisme. Jusqu’au drame fatal, celui qui creuse un trou béant dans la poitrine d’un jeune homme qui est peut-être le narrateur, ou pas. Un trou qui avalera toutes les couleurs pour ne laisser qu’un blanc infini de douleur.

Nu dans le premier chapitre, le narrateur prend forme sous nos yeux. À mesure que son univers s’étiole sous les coups de massue de la réalité, son esprit et son corps prennent forme. Son regard s’affûte, sa conscience s’éveille. Le récit nous offre une résurrection littéraire tout en s’emparant d’un sujet qui secoue les USA. 

C’est là toute la force du récit, derrière les pirouettes narratives et les bons mots, il aborde un thème complexe qui prend peu à peu l’ascendant sur le burlesque pour livrer une tirade finale bouleversante, qui résonne comme un constat amer mais aussi une victoire personnelle.

En équilibre constant entre la satire sociale et le récit introspectif, ce roman, malicieux et espiègle, offre une réflexion bouleversante sur la difficulté à se réconcilier avec son passé pour mieux faire face au présent.  

Résumé : u cours d’une tournée promotionnelle pour son dernier roman, un écrivain noir américain fait la connaissance d’un enfant à la peau si sombre qu’on le surnomme Charbon. D’abord rencontré dans la salle à manger d’un grand hôtel, le gamin d’une dizaine d’années réapparaît à chaque étape de la tournée et raconte sa vie, ses parents et leur idée folle : le pousser à devenir invisible pour ne pas avoir à subir le destin que sa couleur de peau lui réserve.L’enfant existe-t-il vraiment ? Affecté d’un étrange mal qui l’empêche de distinguer la réalité du produit de son imagination, l’écrivain serait bien incapable de le dire. Mais réelle ou fantasmée, cette rencontre va remettre en question son rapport à sa propre histoire, à sa condition et lui faire admettre une cruelle évidence : être noir aux États-Unis signifie vivre sous une menace constante.Comédie féroce, tragédie déchirante, manifeste contre la peur, l’oppression et les violences policières, L’Enfant qui voulait disparaître est tout cela à la fois

Éditeur ‎AUTREMENT (5 janvier 2022)
Langue ‎Français
Broché ‎432 pages
ISBN-10 ‎2746763001
ISBN-13 ‎978-2746763005

Ligne de failles de Nancy Huston

Jusqu’à la source

Le fleuve d’une vallée ignore l’existence de la cascade qui la constitue, tout comme ladite cascade ne peut savoir qu’elle s’abreuve à une source plus lointaine. Parcourir les flots de l’histoire à contre-courant pour découvrir la source qui ruisselle sur le présent, c’est le pari osé de Nancy Huston avec ce récit ambitieux.

À travers une narration atypique l’autrice revisite l’histoire d’une famille jusqu’au drame initial, le péché originel qui a planté ses crocs dans l’ADN de cette famille, contaminant chacun de ses membres, génération après génération avec des symptômes différents mais toujours en instillant le malaise et un sentiment de rejet.

Un pari qui aurait été réussi si le secret en question avait été mieux mis en avant durant la dernière partie. L’origine de la fracture de cette lignée familiale ancrée dans l’histoire paraît trop nébuleuse pour acquérir l’ampleur nécessaire et expliquer les névroses qui rongent ses membres. Il est dommage également que l’autrice préfère expliquer un détail historique dans une note à la fin de l’ouvrage plutôt que de l’inclure dans sa narration. Cela aurait permis au récit de gagner en profondeur.

Pourtant la lecture reste agréable. Chaque narrateur possède sa propre voix, sa propre vision enfantine sur un monde d’adultes emplis de secrets et de non-dits. La plume allie rythme et une prose imagée très plaisante. Les différentes parties s’enchaînent toutes seules.

Un roman ambitieux qui manque de toucher au but par une conclusion qui manque de retentissement mais dont la narration inventive invite à la relecture.

Résumé : Entre un jeune Californien du XXIe siècle et une fillette allemande des années 1940, rien de commun si ce n’est le sang. Pourtant, de l’arrière grand-mère au petit garçon, chaque génération subit les séismes politiques ou intimes déclenchés par la génération précédente.

ASIN ‎2742769366
Éditeur ‎Babel (6 juillet 2011)
Langue ‎Français
Poche ‎496 pages
ISBN-10 ‎2351500741
ISBN-13 ‎978-2351500743

Un bon indien est un indien mort de Stephen Graham Jones

La chasse infernale

Après avoir énormément apprécié Galeux, j’étais impatient de découvrir ce que Stephen Graham Jones pouvait offrir avec son nouveau roman. Ce nouvel ouvrage offre un style différent au service d’un récit qui nous entraîne dans les tréfonds de l’angoisse.

L’auteur inscrit son récit dans la mouvance du réalisme fantastique, un style qui erre à la frontière des genres. Sauf qu’il s’agit plutôt là d’un réalisme horrifique, certaines scènes marquent à jamais l’imagination du lecteur de par leur puissance évocatrice. Le récit baigne dans une atmosphère de folie et de terreur qui ne fait que s’accentuer dans un rythme lancinant.

L’auteur joue habilement sur les mots pour créer l’angoisse, le fantastique reste à la lisière des paragraphes, en retrait pour mieux laisser planer son ombre funeste sur tout le récit. L’horreur surgit petit à petit, du coin de l’œil d’abord avant d’envahir toute la rétine ne laissant plus aucune échappatoire.

En ce qui concerne les personnages, l’auteur brosse un beau portrait de looser magnifiques, dans un décor de caravanes rouillées et de décharge automobile, décor d’un cauchemar américain qui n’a jamais pris fin. Des hommes perdus, à tous les niveaux, qui entassent les regrets et les remords comme les canettes de bière. Des hommes déracinés, dont il ne reste que quelques vestiges épars des traditions qui animaient leurs tribus autrefois. Des âmes en perdition qui voient la dernière chose de stable dans leur vie, leur esprit, flancher de manière irrémédiable.

Une lecture qui happe le lecteur dans un engrenage démentiel, jouant sur les sensations et l’imagination du lecteur pour délivrer son message impitoyable.

Résumé : Quatre amis d’enfance ayant grandi dans la même réserve amérindienne du Montana sont hantés par les visions d’un fantôme, celui d’un élan femelle dont ils ont massacré le troupeau lors d’une partie de chasse illégale dix ans auparavant.

Éditeur ‎Rivages (21 septembre 2022)
Langue ‎Français
Broché ‎352 pages
ISBN-10 ‎2743656212
ISBN-13 ‎978-2743656218

Betty de Tiffany McDaniel

La complainte des étoiles

Une famille mixte dans une Amérique rurale, une petite fille qui rêve le monde bercé par les légendes que lui invente son père. Un récit porté par une tendre brise qui peut soudainement se transformer en tempête dévastatrice.

L’amour qui unit Betty à son père s’impose comme les piliers narratifs du récit. Chaques fois que Betty se trouvera confrontée à la bêtise ou la méchanceté, son père saura rallumer la flamme dans ses yeux.

Aussi beau soit-il dans la description de cet amour filial, le récit souffre d’une stagnation narrative qui alourdit le récit et ternit le plaisir que l’on prend à suivre Betty. Certains membres de la famille de Betty ne sont guère attachants et trop présents tout au long du récit. Sans parler d’un mystère secondaire qui est étiré tout au long du récit mais dont on devine vite la résolution.

Le dernier tiers du récit m’a réconciliée avec ma lecture. Les événements n’épargnent pas la famille Carpenter. La plume de l’autrice ne nous épargne rien des malheurs de la famille sans pour autant verser dans le mélo.

On referme le livre le cœur lourd face au destin des Carpenter mais les yeux émerveillés par la candeur féerique et la ténacité de Betty.

Résumé : Ce livre est à la fois une danse, un chant et un éclat de lune, mais par-dessus tout, l’histoire qu’il raconte est, et restera à jamais, celle de la Petite Indienne. » La Petite Indienne, c’est Betty Carpenter, sixième de huit enfants. Parce que sa mère est blanche et son père cherokee, sa famille vit en marge de la société. Avec ses frères et soeurs, Betty grandit bercée par la magie immémoriale des histoires de son père, au coeur des paysages paisibles de l’Ohio. Mais les plus noirs secrets de la famille se dévoilent peu à peu. Pour affronter le monde des adultes, Betty découvrira le pouvoir réparateur des mots

Éditeur ‎GALLMEISTER (3 mars 2022)
Langue ‎Français
Poche ‎704 pages
ISBN-10 ‎2351788389
ISBN-13 ‎978-2351788387

American war d’Omar El Akkad

Miss American rage

Une Amérique divisée, une guerre qui ne laisse aucun répit aux civils, deux conceptions du monde qui s’affrontent sur fond de fin de règne, un univers dystopique trop semblable au nôtre. Autant de matière qui aurait dû donner une lecture réjouissante, est-ce vraiment le cas ?

L’auteur bâtit son univers patiemment, pages après pages, livrant moult détails et descriptions sur ces États-Unis fracturés dont les enfants sont fauchés par un tir de missile lancé par un drone. Lentement c’est un pays ravagé qui prend forme sous nos yeux.

Narré sous forme de journal intime, qui use des effets de prolepse, créant ainsi une attente de la part du lecteur. Le monde impitoyable dans lequel évolue la petite Sarah se révèle consistant. On foule la terre aride du Mississippi avec Sarah et sa famille, on partage leur détresse et leur désespoir. Cette narration immersive est une réussite totale et représente l’atout majeur de l’ouvrage.

Les chapitres nous montrant l’intrépide Sarah grandir dans le camp de réfugiés de Patience sont les meilleurs passages du livre. Sarah ne sera jamais aussi attachante que lorsqu’elle déambule entre les ruelles créées par les tentes de réfugiés et qu’elle tente d’apprivoiser un monde hostile. Par la suite cela se gâte.

Car à trop vouloir conter la naissance d’une guerrière, l’auteur oublie d’accorder une certaine profondeur à son récit. Montrer le quotidien d’un soldat dévoué à sa cause c’est bien, expliquer la création d’une chaîne de haine irrépressible c’est une volonté honnête mais cela ne suffit pas à porter le récit sur 500 pages. 

Il manque à l’ouvrage une réflexion sur la mentalité sudiste dont découle un tel fanatisme et une si grande fierté. En l’état, American war est une fresque guerrière convaincante mais qui manque de profondeur pour être vraiment marquante. 

Résumé : États-Unis, 2074. Une nouvelle guerre de Sécession éclate entre le Nord et le Sud, sur fond de contrôle des énergies fossiles. Lorsque son père est tué, la jeune Sarat Chestnut et sa famille n’ont d’autre choix que de fuir dans un camp de réfugiés en zone neutre.Entre les privations, les désillusions et les rencontres hasardeuses, la fillette influençable va, au fil des ans, se transformer en une héroïne implacable appelée à jouer un rôle déterminant dans le nouvel ordre mondial.

Éditeur ‎J’AI LU (6 octobre 2021)
Langue ‎Français
Poche ‎512 pages
ISBN-10 ‎2290233021
ISBN-13 ‎978-2290233023