Lorsque le dernier arbre de Michael Christie, l’espoir gravé dans l’écorce

Cet ouvrage est bien plus qu’un énième récit post-apo brodant sur le thème éculé du déclin de l’humanité. C’est un ouvrage sur la notion de famille, sur la transmission de valeurs et aussi un formidable message d’espoir pour l’avenir.

Ce roman restera sans doute comme l’une de mes plus belles lectures de cette année. Tout simplement parce que l’auteur est parvenu à me faire changer d’avis sur ses choix de narration et sur mon ressenti concernant ses personnages, ce qui n’arrive que rarement.

En commençant l’ouvrage je me faisais la réflexion que le sujet était intéressant, la narration claire, le propos passionnant mais j’avais l’impression de regarder les personnages à travers une vitre, ce que je trouvais dommage pour une saga familiale où l’attachement aux personnages est primordial. Comme si l’intrigue se déroulait à travers un filtre et que l’auteur nous maintenait à distance de ses personnages. C’était pour mieux nous emmener à la seconde partie.

La première partie du récit, celle où la narration rebrousse le temps, sert à enraciner les thématiques de chaque personnage, à nouer le contexte dans lequel ils évoluent et à planter leurs personnalités. Puis la seconde partie déploie ses trésors d’émotions, la distance s’efface et laisse place à une intensité émotionnelle que j’ai rarement eu l’occasion de lire. Le tout avec pudeur et sobriété.

Une fois le livre refermé on ne peut s’empêcher de saluer l’ingéniosité de l’auteur qui parvient à mêler l’émotion tout en mettant en parallèle les situations vécues par les personnages à des décennies d’écarts. Il parvient à nous faire adopter le point de vue de chaque membre de cette famille atypique, on réussit à adopter leurs choix, même les plus extrêmes. Une famille où chaque branche s’ignore mais se complète, une famille qui ne sait pas communiquer mais qui se transmet pourtant des valeurs fondamentales.

Plus j’y réfléchis, plus je suis persuadé que ce livre est la meilleure lecture que j’ai pu faire cette année, non seulement pour l’émotion qu’il dégage mais aussi pour la résilience dont il fait preuve, un message d’espoir pour notre avenir. Aussi fragile et incertain soit-il.

Résumé : « Le temps ne va pas dans une direction donnée. Il s’accumule, c’est tout – dans le corps, dans le monde -, comme le bois. Couche après couche. Claire, puis sombre. Chacune reposant sur la précédente, impossible sans celle d’avant. Chaque triomphe, chaque désastre inscrit pour toujours dans sa structure. »

D’un futur proche aux années 1930, Michael Christie bâtit, à la manière d’un architecte, la généalogie d’une famille au destin assombri par les secrets et intimement lié à celui des forêts.
2038. Les vagues épidémiques du Grand Dépérissement ont décimé tous les arbres et transformé la planète en désert de poussière. L’un des derniers refuges est une île boisée au large de la Colombie-Britannique, qui accueille des touristes fortunés venus admirer l’ultime forêt primaire. Jacinda y travaille comme de guide, sans véritable espoir d’un avenir meilleur. Jusqu’au jour où un ami lui apprend qu’elle serait la descendante de Harris Greenwood, un magnat du bois à la réputation sulfureuse. Commence alors un récit foisonnant et protéiforme dont les ramifications insoupçonnées font écho aux événements, aux drames et aux bouleversements qui ont façonné notre monde. Que nous restera-t-il lorsque le dernier arbre aura été abattu ?

Éditeur ‎Albin Michel (18 août 2021)
Langue ‎Français
Broché ‎608 pages
ISBN-10 ‎222644100X
ISBN-13 ‎978-2226441003

Au revoir là-haut de Pierre Lemaitre, les enfants meurtris de la patrie

Il était plus que temps que je parte à la découverte de Pierre Lemaitre, auteur reconnu et maintes fois primé mais que je n’avais encore jamais lu.

L’auteur adopte un ton ironique pour narrer son histoire. Ce qui constituera sa plus grande force mais aussi sa plus grande faiblesse. Le début du récit nous montre l’enfer des tranchées par le regard naïf du soldat Maillard tout en brisant le quatrième mur. Une technique qui permet d’instaurer une certaine distance ironique avec la situation vécue par les personnages. Une distance qui se rompt brutalement lorsque la réalité de la guerre se rappelle aux yeux du lecteur.

Cette plume empreinte d’humour et de légèreté va progressivement se laisser envahir par un ton désabusé à mesure que le récit dévoile toute l’ampleur de la médiocrité française, sans jamais toutefois se départir de son ton naïf, notamment grâce au personnage d’Albert, éternel grand enfant perdu dans un monde d’adultes cyniques.

Pourtant cette plume, si elle permet au récit d’être porté par une cadence plaisante qui fait que le récit se dévore tout seul, limite aussi l’ouvrage dans sa portée dramatique. Jamais je n’ai tremblé pour les personnages tant la narration semblait prévisible. De plus la caractérisation des personnages se contente d’image d’Épinal pour construire ses personnages ce qui est dommage.

Ainsi les personnages ne s’extraient jamais du carcan dans lequel l’auteur les a enfermés. Il en résulte un manque de nuances et de profondeur qui devient lassant.

Cela n’empêche pas l’ouvrage d’être un récit extrêmement agréable à lire. Pour ma prochaine lecture de cet auteur je vais peut-être être me diriger vers l’un de ses romans policiers pour saisir toute l’ampleur de sa plume.

Résumé : Ils ont miraculeusement survécu au carnage de la Grande Guerre, aux horreurs des tranchées. Albert, un employé modeste qui a tout perdu, et Edouard, un artiste flamboyant devenu une « gueule cassée », comprennent vite pourtant que leur pays ne veut plus d’eux. Désarmés, condamnés à l’exclusion, mais refusant de céder au découragement et à l’amertume, les deux hommes que le destin a réunis imaginent alors une escroquerie d’une audace inouïe…

Éditeur ‎Le Livre de Poche (22 avril 2015)
Langue ‎Français
Poche ‎624 pages
ISBN-10 ‎2253194611
ISBN-13 ‎978-2253194613

L’île du docteur Faust de Stéphanie Janicot, Miroir, mon beau miroir…

C’est à un séjour onirique, rempli de symbolisme et de paraboles, que nous convie Stéphanie Janicot avec son roman. Un voyage envoûtant, une réflexion intense sur les notions de choix et de désirs.

L’auteure dépeint les portraits diversifiés de femmes ternis dans leur chair et leurs esprits, des femmes qui ont dû s’exposer à une galerie composée d’hommes, des femmes qui ont du renoncé à la couleur du désir, de l’ambition, de la création pour se complaire aux désidératas de la société patriarcal qui était leur quotidien et qui n’en ont retiré qu’une palette de sentiments faite d’aigreur et de regrets. Un constat amer, qui reflète les propres errances de la narratrice, cependant, rapidement, l’auteure transcende ce triste postulat.

Engluées dans leurs desseins flétris, ces femmes se retrouvent très vite à reproduire les mêmes erreurs qui les ont conduites sur cette île. Le désir d’une seconde jeunesse, d’une ultime chance de réaliser son potentiel ne fait que mettre en lumière la vacuité de leurs ambitions et permet à la narratrice de faire la revue de sa propre collection de regrets et de remords afin de percer les mystères du docteur Faust et de parvenir, peut-être, à une sérénité inespérée.

Encadré par un liseré de légendes bretonnes et de mythologie grecque, le récit foisonne de références qui sont autant d’avertissement inaudibles. L’auteure expose tous ces symboles, qui donnent du corps à son récit, de manière trop évidente. Un peu de mystère, de part d’ombre, aurait été bienvenue. De même les dialogues manquent de malice, de sous-entendus équivoque, et se résument souvent à une exposition frontale de la mentalité des personnages, sans artifice.

Alors que le séjour sur l’île s’achève et que l’illusion se dissipe, les interrogations soulevées par le récit demeurent dans les regards de ces femmes, tel un miroir dont on refuserait d’apercevoir le reflet : Serai-je à la hauteur de mes espérances ?

Résumé : Tandis que la nuit tombe, neuf femmes attendent l’arrivée d’un passeur qui doit les mener sur une île au large de la Bretagne. Toutes ont payé le prix pour suivre un programme leur promettant de retrouver leurs vingt ans. Seule l’une d’entre elles, invitée, s’est juré de résister à la tentation.Mais le séjour et le mystère grandissant qui l’entoure, tout autant que le trouble suscité par le docteur Faust, vont lui révéler la difficulté de refuser ce pacte diabolique.


Comment maîtriser le temps ? Accomplir nos rêves les plus sacrés, l’amour, la création ? Comme elle s’est plu à se jouer des mythes et des légendes dans ses précédents livres, Stéphanie Janicot interroge dans ce roman envoûtant le fantasme de la jeunesse éternelle et de la toute-puissance, l’illusion, la féminité et la force du désir.

Éditeur ‎Albin Michel (18 août 2021)
Langue ‎Français
Broché ‎304 pages
ISBN-10 ‎2226465278
ISBN-13 ‎978-2226465276

Profession du père de Sorj Chalandon, papa est en haut, sa tête fait du yoyo

Aujourd’hui on sait ce que c’est une personnalité toxique, tout comme on sait repérer et encadrer les personnes instables mentalement. Mais dans la société française d’après-guerre où les consciences n’étaient pas aussi éveillées le poison pouvait se déployer en toute tranquillité.

La première partie du roman est difficile à lire. Non pas parce que le style de l’auteur est rebutant mais parce qu’on assiste au parfait petit condensé de la maltraitance envers un enfant. Maltraitance physique et morale, privations arbitraires, harcèlement moral, culte du corps, endoctrinement idéologique, le tout raconté par les yeux d’un enfant qui aime son père malgré sa folie évidente et qui recherche inlassablement son attention. Un véritable crève-coeur.

Puis le récit prend des allures de tragi-comédie alors que l’esprit du petit Émile opère une tentative d’appropriation de la folie de son père, seul moyen qu’il est trouvé pour survivre dans cet environnement délétère. Le récit s’enveloppe ainsi d’un légèreté bienvenue tenaillée par une ombre sordide qui finira par le rattraper.

L’auteur fait valser les dialogues qui sont l’atout principal de l’ouvrage. Ses descriptions sont économes mais n’effacent pas pour autant les personnages derrière un voile de dialogues trompeurs. Leur personnalité se dissimule derrière les non-dits, les déclarations douces-amères et les interrogations de cet enfant qui passera une bonne partie de sa vie à guetter une forme d’amour paternelle.

À l’aide de la candeur enfantine l’auteur dresse un portrait glaçant de la folie ordinaire, de celle qui souille des vies à jamais et peut se révéler capable de faire couler des rivières de sang. Encore une rencontre littéraire que je suis heureux d’avoir effectué.

Résumé : Mon père disait qu’il avait été chanteur, footballeur, professeur de judo, parachutiste, espion, pasteur d’une Église pentecôtiste américaine et conseiller personnel du général de Gaulle jusqu’en 1958. Un jour, il m’a dit que le Général l’avait trahi. Son meilleur ami était devenu son pire ennemi. Alors mon père m’a annoncé qu’il allait tuer de Gaulle. Et il m’a demandé de l’aider.
Je n’avais pas le choix.
C’était un ordre.
J’étais fier.
Mais j’avais peur aussi…
À 13 ans, c’est drôlement lourd un pistolet.
S. C.

ASIN ‎2253066257
Langue ‎Français
Poche ‎288 pages
ISBN-10 ‎9782253066255
ISBN-13 ‎978-2253066255

Le lambeau de Philippe Lançon, et toujours la plume plus forte que l’épée

J’ai repoussé au maximum mon retour sur cet ouvrage. J’ai cru d’abord que c’était parce que je n’avais pas les compétences pour en parler de manière convaincante mais j’ai finalement compris que c’était parce que ce récit m’avait désarçonné, bouleversé de manière irrépressible.

La plume est une maestria de style maîtrisé allié à un vertige intimiste. L’auteur condense tout son savoir littéraire pour livrer un récit dense et lumineux où jamais ne sera convié l’émotion facile, le pathos.

Car au-delà du traumatisme initial, il s’agit avant tout de conter le récit d’une renaissance dans tout ce qu’elle a de plus intime et de salvatrice. L’auteur nous convie avec lui dans cette chambre d’hôpital pour être les témoins de son retour à la vie. Rien ne nous sera épargné, les opérations minutieuses, les proches désemparés qui font ce qu’ils peuvent, les nuits de désespoir et l’humour noir dont seuls savent faire preuve ceux dont le corps est profondément meurtri.

Avec une grâce stylistique et une résilience tout en humilité l’auteur offre une magnifique leçon de vie, de résistance face aux traumatismes, à l’horreur sans nom et nous rappelle, à nous, éternels enfants impétueux, puisqu’il est encore nécessaire de le faire que la haine n’a jamais servi à vaincre la haine.

Un récit indispensable, tant pour la leçon d’humanité qu’il dispense que pour le chemin de vie dont il est le témoignage.

Résumé : « Je me souviens qu’elle fut la première personne vivante, intacte, que j’aie vue apparaître, la première qui m’ait fait sentir à quel point ceux qui approchaient de moi, désormais, venaient d’une autre planète – la planète où la vie continue. » Le 7 janvier 2015, Philippe Lançon était dans les locaux de Charlie Hebdo. Les balles des tueurs l’ont gravement blessé. Sans chercher à expliquer l’attentat, il décrit une existence qui bascule et livre le récit bouleversant d’une reconstruction, lente et lumineuse. En opposant à la barbarie son humanité humble, Le lambeau nous questionne sur l’irruption de la violence guerrière dans un pays qu’on croyait en paix.

Éditeur ‎Folio (1 janvier 2020)
Langue ‎Français
Poche ‎512 pages
ISBN-10 ‎2072873703
ISBN-13 ‎978-2072873706

Loin d’eux de Laurent Mauvignier, un torrent d’émotions silencieux

À nouveau une rencontre littéraire, si ma rencontre avec le style sombre de Le Corre fut comme un boulet de désespoir me traversant de part en part, celle avec Laurent Mauvignier fut comme une série de claques retentissantes. Des allers-retours bourrés de style et d’émotions brutes.

Je ne vais pas m’étendre sur les personnages, leurs développements ou celui de l’intrigue car le cœur du récit réside ailleurs. Il se niche dans ces témoignages que l’on devine silencieux sur ces âmes rurales, attachées à leur terre, qui, derrière leur apparente impassibilité, sont de véritables tourbillons d’émotions.

Tout le livre repose sur ce postulat. Faire résonner le silence assourdissant de cette famille qui s’aime, qui tiennent les uns aux autres, mais qui ignorent comment l’exprimer. Il en résulte un style brut, sans concessions, un torrent de mot qui assaillent le lecteur, l’agrippe et le projette en tout sens avant de le laisser sur la rive, pantelant et hagard.

L’auteur évoque l’incapacité à communiquer, l’absence d’émotions verbale, la maladresse des mains qui empoignent les outils mais ne savent pas étreindre. La colère, la tristesse, la rancoeur, l’amertume et tant d’autres encore sont autant d’émotions qui seront invoqué au cours du récit dans une déferlante que rien ne semble pouvoir arrêter.

Une lecture courte mais dont on ne ressort pas indemne. Le torrent littéraire que lâche l’auteur vous laisse le cœur trempé par ces émotions brutes et l’esprit essoré par ce torrent. Une plume magistrale, un auteur dont il faut partir à la découverte.

Éditeur ‎Editions de Minuit (1 mai 1999)
Langue ‎Français
Broché ‎121 pages
ISBN-10 ‎2707316717
ISBN-13 ‎978-2707316714

Le bonheur national brut de François Roux, quatre garçons dans le vent

Récit initiatique, portrait d’une époque et réflexions sur la signification du bonheur, il y a un peu de tout ça dans cet ouvrage de François Roux sorti en 2014.

Encore une fois j’ai dû revoir à la baisse mes attentes de lectures. Je m’attendais à renouer avec les années 80, que j’affectionne particulièrement puisqu’elles m’ont vu venir au monde. Hors la narration de l’auteur s’ingénie à creuser le portrait de ses personnages en délaissant quelque peu la représentation de la France de cette époque. La retranscription de cette décennie bouillonnante reste donc assez sommaire. Peu importe il reste les personnages et leurs portraits psychologique, véritable attraction de cet ouvrage.

Des personnages que l’on rencontre à l’aube de l’âge adulte, décrit comme des diamants bruts qui vont peu à peu s’affiner sous la plume de l’auteur. Patiemment, au fil des chapitres, les morceaux de bois grossiers qu’ils étaient dans les premiers chapitres prennent une forme plus distingués, à mesure qu’évolue leur psychologie, savamment affûté par une plume consciencieuse. On a vite fait d’associer ces quatre personnages à des animaux totem.

À Rodolphe, l’éternel colérique dont l’énergie semble alimentée par une rage dont il ignore l’origine, c’est l’image de l’ours qui s’est imposé tandis que l’image du loup affamé se surperpose au portrait de Tanguy. Ces deux hommes, qui doivent faire face à leurs choix et à l’image séculaire du père, sont au final les deux aux parcours le plus touchant alors même qu’ils étaient insupportables aux prémices de cette fresque.

Benoît, l’albatros qui plane loin au-dessus des simples considérations des mortels, m’a plus ennuyé. Difficile de rendre palpitant le chemin de vie d’un personnage sur qui tout glisse tel des gouttes d’eau. Enfin Paul, le narrateur principal, est une cigale qui se laisse doucement porter par ses rêves, confondant de naïveté et d’un naturel placide qui a fini par me lasser.

Il n’en reste pas moins que le récit est passionnant. Voir ces enfants grandir, se heurter à la vie et ses vicissitudes est un plaisir qui ne s’affadit jamais au cours de la lecture.

Résumé :

Le 10 mai 1981, la France bascule à gauche.
Pour Paul, Rodolphe, Benoît et Tanguy, dix-huit ans à peine, tous les espoirs sont permis.

Trente et un ans plus tard, que reste-t-il de leurs rêves, au moment où le visage de François Hollande s’affiche sur les écrans de télévision ?

Le bonheur national brut dresse, à travers le destin croisé de quatre amis d’enfance, la fresque sociale, politique et affective de la France de ces trois dernières décennies. Roman d’apprentissage, chronique générationnelle : François Roux réussit le pari de mêler l’intime à l’actualité d’une époque, dont il restitue le climat avec une sagacité et une justesse percutantes.

Éditeur ‎Albin Michel (20 août 2014)
Langue ‎Français
Broché ‎688 pages
ISBN-10 ‎2226259732
ISBN-13 ‎978-2226259738

Vous plaisantez monsieur Tanner de Jean-paul Dubois, Déboire zinc et marteau

Avec ce récit court, l’expert de l’ironie douce-amère nous conte la progression désastreuse d’un chantier domestique qui va exiger énormément à son propriétaire.

Inutile d’attendre une quelconque densité dans les personnages ou la narration, le propos de l’ouvrage est ailleurs. Les chapitres sont courts, les anecdotes tantôt hilarantes, tantôt sidérantes sonnent malheureusement de manière très réaliste.

Il faut plutôt voir l’ouvrage comme une bonbonnière dans laquelle chaque chapitre serait une friandise. Une bêtise de Cambray ou un calisson dont le raffinement artisanal dissimulerait toute une gamme de saveur qui vous fera passer du rire aux larmes en une tournure de phrase. C’est la marque de fabrique de cet auteur, une fois que l’on a accepté le partis pris de ne pas vraiment développer le narrateur comme un personnage à part entière on se régale avec cette confiserie.

L’auteur n’oublie pas pour autant que l’emballage compte autant que la sucrerie à l’intérieur. Ainsi sa plume offre de jolies énumérations, des réflexions sur le concept de propriété, des figures de style en pagaille qui seront autant de délices pour ceux qui se nourrissent de littérature. Sans oublier les portraits absolument exquis des différents artisans qui viendront pimenter le quotidien harassant de ce pauvre M.Tanner.

Et voilà qu’à peine entamé la réserve de sucrerie est déjà vide mais ainsi fonctionne l’auteur, ne pas gaver le lecteur au risque de frôler l’indigestion. Une recette satisfaisante qui pousse le lecteur gourmand à ingurgiter très vite un autre de ces récits aux mille saveurs.

Résumé : À la mort de son oncle, Paul Tanner hérite d’une immense maison qu’il entreprend de rénover accompagné de professionnels. Il ne présage pas l’orage qui menace : maçons déments, couvreurs délinquants, électriciens fous, tous semblent s’être donné le mot pour rendre la vie impossible à monsieur Tanner. Chronique d’un douloureux combat, galerie de portraits terriblement humains, une comédie noire orchestrée par des hommes de chantier.

Éditeur‎Points (14 décembre 2020) Langue‎Français Poche‎216 pages ISBN-10‎275788865X ISBN-13‎978-2757888650

Kafka sur le rivage de Haruki Murakami, une fable onirique et loufoque

Prudence à toi lecteur qui s’apprête à pénétrer les territoires mystérieux de Murakami. Dépose ton esprit cartésien, tes attentes de lectures formatées et tes repères de lecteur occidental. Tu t’apprêtes à embarquer dans une épopée hors-normes où règne l’absurde et l’introspection.

D’une plume fluide l’auteur tisse l’odyssée miroir de deux êtres dissemblables dans leur approche de la vie. Au jeune fugueur Kafka, accablé par une prophétie paternelle qu’il réfute de tout son être, la mélancolie, la solitude, la rationalité et l’introspection. À l’excentrique Nakata, l’insouciance, l’innocence, l’humour et l’absurde.

Il serait dommage de s’arrêter aux scènes purement loufoque de l’ouvrage tant il recèle d’hommage à toutes les formes d’art, à commencer par le mythe d’Œdipe qui renvoie à la mythologie grecque. Mais l’art pictural occupe une place importante, l’auteur cite également le réalisateur François Truffaut. L’art qui occupe une place primordiale dans le récit, il façonne le destin de Kafka et agit comme autant de repères culturels et cimente un parcours fait d’interrogations sans réponses et de théories alambiquées.

Un récit si dense dans son propos et truffés de références qu’il en est presque insultant d’essayer d’en parler dans un espace aussi réduit. Un livre qui pousse à la réflexion en pleine lecture et qui hante encore une fois achevé. Un livre rare. Un livre que j’aurais aimé étudié au lycée.

Résumé : Un adolescent, Kafka Tamura, quitte la maison familiale de Tokyo pour échapper à une malédiction œdipienne proférée par son père. De l’autre côté de l’archipel, Nakata, un vieil homme amnésique, décide lui aussi de prendre la route. Leurs deux destinées s’entremêlent pour devenir le miroir l’une de l’autre, tandis que, sur leur chemin, la réalité bruisse d’un murmure envoûtant.

Éditeur‎10 X 18 (25 août 2011) Langue‎Français Poche‎648 pagesISBN-10‎2264056169ISBN-13‎978-2264056160 Poids de l’article‎399 g Dimensions‎11 x 4 x 17.8 cm

Bangkok déluge de Pitchaya Sudbanthad, le flot tumultueux du destin

Un ville, un peuple et le cours inexorable du destin.

Ce primo-roman thaïlandais disponible chez @editionsrivages n’est rien d’autre qu’une invitation à une traversée à travers le temps, avec Bangkok, la ville aux milles visages, en arrière plan. Une lecture dépaysante qui, pour peu que l’on sache larguer les amarres, nous emporte sur des flots d’une écriture doté d’une force tranquille qui saura apaisé les pauvres lecteurs occidentaux que nous sommes, habitués à lire des récits beaucoup plus balisés en termes de narration.

Ici pas de personnage central mais une galerie d’habitants de Bangkok avec qui on va faire connaissance tout au long du récit. Tous auront un rapport complexe avec leurs pays tel Sammy, l’expatrié qui cherche désespérément à se réconcilier avec son enfance et son pays ou encore Nee, l’étudiante qui subit la répression militaire des années 70. On aura aussi l’occasion de voir le combat quotidien de sa soeur Nok pour maintenir ouvert son restaurant thaï au Japon alors même que l’histoire de son pays la rattrape bien malgré elle.

Comme dans tout récit choral qui entrecroise les destins, l’auteur n’échappe pas à l’écueil du développement inégal des personnages. La partie consacré à la junte militaire est tellement intéressante que le reste du récit en pâtit quelque peu. C’est le cas notamment du médecin américain Stevens dont l’épopée est conté de manière trop disparate pour que l’on puisse vraiment se prendre d’affection pour lui. L’auteur est mieux parvenu à mener sa barque qui regroupe les personnages Thaïlandais affrontant le tumulte de la vie que celle de ces personnages éclairs qui auraient mérité tout autant d’attention.

La dernière partie représente un défi supplémentaire puisqu’elle se déroule dans le futur alors que les eaux furieuses ont submergés la ville. En plus de nouveaux personnages, il faut également s’habituer à de nouvelles technologies dans un décor qui a changé à jamais. Une partie du récit qui met en valeur la résilience des citoyens de cette nouvelle Venise.

En plus de cet équipage hétéroclite, l’auteur à tenu à intégré des chapitres courts qui mettent la faune en vedette afin de montrer qu’une ville n’es pas uniquement constituée de bipèdes inconscients des ravagés qu’ils provoquent. Un excellente idée qui permet au texte de respirer et de prendre une hauteur inattendue.

Pitchaya Sudbanthad aura donc su me guider tranquillement tout au long de son récit grâce à sa plume calme, à la puissance narratrice maîtrisée. Une lecture qui m’a fait sortir de ma zone de confort pour mon plus grand plaisir. Une lecture qui fait rimer dépaysement et enchantement.

Résumé: Roman-monde pour une ville-monstre, «Bangkok Déluge »regarde Bangkok changer à travers le destin kaléidoscopique d’une dizaine de personnages plus attachants les uns que les autres. Du XIXe siècle des grandes découvertes à l’avenir des tempêtes climatiques qui guettent, autour d’une même maison hantée qui lui donne son axe, la ville se fait tour à tour piège et refuge, se réinventant en permanence sous les assauts de la modernité comme du ciel. Tentaculaire et limpide, porté par un souffle et une force motrice rares, le premier roman de Pitchaya Sundbanthad est un voyage, une expérience d’immersion totale.

  • Éditeur ‏ : ‎ EDITIONS PAYOT & RIVAGES (25 août 2021)
  • Langue ‏ : ‎ Français
  • Broché ‏ : ‎ 432 pages
  • ISBN-10 ‏ : ‎ 274365368X
  • ISBN-13 ‏ : ‎ 978-2743653682
  • Poids de l’article ‏ : ‎ 450 g
  • Dimensions ‏ : ‎ 14 x 2.9 x 20.5 cm