Il n’est pire aveugle de John Boyne, Et délivre nous du mal

Voilà un ouvrage qui va vous faire voyager, vous faire ressentir tout un tas d’émotions contradictoires mais puissantes, mais aussi vous interpellez sur notre propension à généraliser. Le tout servi par l’une des plus magnifiques plumes qui m’ait été donné de lire.

La plume de John Boyne est véritablement ce qui m’a ravi durant cette lecture. Une écriture ronde, chaleureuse, une narration introspective mais ouverte sur le monde. À chaque paragraphe un sentiment de plénitude m’envahissait, la sensation d’être avec un personnage que je comprenais et que j’appréciais entièrement. 

La temporalité du récit est parfaitement maîtrisée. Le prêtre Ordran évoque les épisodes les plus marquants de sa vie dans un ordre non chronologique sans que jamais l’on se sente perdu dans le récit. L’on parvient à saisir toutes les subtilités de l’intrigue, les non-dits des personnages secondaires et le contexte de chaque épisode en quelques lignes. 

Enfin malgré la difficulté du sujet, le texte reste pudique et intime. Jamais le voyeurisme ne s’invite dans ce chemin de vie d’un personnage en pleine remise en question. C’est tout à l’honneur de l’auteur d’être parvenu à évoquer un sujet qui secoue encore l’Église catholique irlandaise sans jamais verser dans le scabreux.

La prouesse de John Boyne est d’être parvenue à traiter d’un sujet difficile à travers les yeux d’un personnage qui se verra forcer de remettre en question tout ce qu’il pensait acquis. Ce qui fait de cette lecture un pur moment de grâce. 

Résumé : Propulsé dans la prêtrise par une tragédie familiale, Odran Yates est empli d’espoir et d’ambition. Lorsqu’il arrive au séminaire de Clonliffe dans les années 1970, les prêtres sont très respectés en Irlande, et Odran pense qu’il va consacrer sa vie au « bien ».
Quarante ans plus tard, la dévotion d’Odran est rattrapée par des révélations qui ébranlent la foi du peuple irlandais. Il voit ses amis jugés, ses collègues emprisonnés, la vie de jeunes paroissiens détruite, et angoisse à l’idée de s’aventurer dehors par crainte des regards désapprobateurs et des insultes. 
Mais quand un drame rouvre les blessures de son passé, il est forcé d’affronter les démons qui ravagent l’Église, et d’interroger sa propre complicité. 

Éditeur ‎JC Lattès (7 avril 2021)
Langue ‎Français
Broché ‎380 pages
ISBN-10 ‎2709665395
ISBN-13 ‎978-2709665391

Fille du destin d’Isabel Allende, Emporté par l’histoire

Romance passionnée, chemin de vie tortueux et empli de douleurs, récit historique où se perd la nature humaine alors que sévit l’appât du gain. Cet ouvrage d’Isabel Allende est tout ceci à la fois. Le tout servi par une plume inégalable de conteuse.

Le récit est séparé en deux parties tellement disparates qu’elles apparaissent comme les enfants colériques d’une même famille. Dans la première partie, auréolé d’une atmosphère de douce innocence, l’autrice nous offre un portrait d’une famille noble chilienne dans une société policé où tout n’est que luxe, volupté et respect des bonnes manières. Une phase d’exposition qui pourrait paraître longue sans la plume adorable d’Allende qui oscille entre la chronique familiale et le conte sociétal.

Puis survint la rupture de ton de la seconde partie. Avec l’appel de l’aventure ressenti par Eliza surgit aussi la brutalité, la cupidité humaine, la sauvagerie et la mort. Plus intense, cette seconde partie garde une filiation avec sa petite sœur par son aspect conte historique et chronique des années de folie qui ont traversé l’ouest américain. On évoque le sort des femmes, traités comme des objets sexuels sans âme mais aussi la légende du bandit Joaquín Murieta. L’innocence s’éteint dans l’indifférence générale, étouffant dans son propre sang et la poussière.

De nos jours ce récit serait raconté de manière différente, les révélations seraient plus fracassantes, la temporalité serait malmenée, et les chapitres plus courts. Ce classique de la littérature reste pourtant indémodable et prouve que, peu importe la manière dont vous racontez votre histoire la plume vous sauvera toujours.

Résumé : Abandonnée sur le port de Valparaiso en 1832, adoptée par la famille Sommers, Eliza va mener une existence de petite fille modèle, jusqu’au jour de ses 16 ans où elle s’éprend de Joaquin, un jeune homme pauvre et entreprenant qui la quitte bientôt pour gagner la Californie. Enceinte, Eliza s’embarque clandestinement sur un voilier afin de le retrouver. En Californie, c’est le temps de la ruée vers l’or. La jeune femme va découvrir un univers sans foi ni loi, peuplé d’aventuriers, de prostituées, de bandits. Un jeune médecin chinois, Tao Chien, la prend sous sa protection. Autour d’eux, San Francisco grandit, le commerce entre les deux Amériques est intense, un nouveau pays naît, brutal, ambitieux, bien éloigné des traditions de la vieille Europe, tellement plus libre aussi.

Éditeur ‎Le Livre de Poche (1 mars 2002)
Langue ‎Français
Poche ‎445 pages
ISBN-10 ‎2253152455
ISBN-13 ‎978-2253152453

Shuggie Bain de Douglas Stuart, Chère Shuggie

Chère Shuggie

J’aurais tant de choses à te dire sur le récit de ta vie. Un tourbillon d’émotions s’empare de moi au souvenir de tout ce que tu as dû traverser. Je doute de trouver la force d’exprimer tout ce que j’ai ressenti à la lecture de ton destin tragique.

Un ciel lourd barre ton avenir et assombrit ton quotidien. Il faut dire qu’il n’était pas bon de vivre du mauvais côté de la barrière sociale en 1980 dans l’Angleterre rigide de Margaret Thatcher. Tu vas subir de plein fouet la misère, la maltraitance, l’alcoolisme, la violence, le mépris, le harcèlement et la malnutrition, le tout sans jamais te départir de ton optimisme et de ton regard d’enfant désarmant de naïveté et d’innocence.

Le récit de ton enfance est aussi celui de ta mère, Agnes, ou plutôt de sa déchéance dans le puits sans fond d’une canette de special brew. Le récit parvient à se focaliser sur l’empathie envers le sort cruel que vous réserve le destin, à toi et à ta famille, sans jamais que l’on ressente un quelconque mépris envers le personnage complexe qu’est ta mère.

J’ai été surpris je l’avoue de voir que l’on s’attardait autant sur le sort de ta génitrice, à tel point que je ne comprenais pas pourquoi le récit porte ton nom alors que l’on te voit si peu, avant de comprendre qu’il s’agit d’une chronique sociale intime et bouleversante et pas uniquement des mémoires d’un enfant de la classe ouvrière.

La description minutieuse de ton quotidien miséreux entre brimades de la part de tes camarades, violences psychologiques et lutte incessante pour conserver le peu de dignité qu’il reste à ta mère est poignante. Tu ne nous épargne rien de ce que tu as subi, et alors que l’on pensait qu’il ne pouvait plus rien t’arriver de pire, le sort s’acharne encore. Pourtant, seulement armé de ton courage et de ton abnégation, tu affrontes les démons qui la dévorent, déchiré par l’amour que tu portes à ta mère.

Voilà que j’arrive au bout du temps qu’il m’est imparti pour t’exprimer tout ce que j’ai ressenti à la lecture de ton récit Shuggie et j’ai l’impression de n’avoir qu’effleurer la surface des émotions que tu provoques en moi. Adieu Shuggie ton calvaire restera gravé dans ma mémoire.

Résumé : Glasgow, années 1980, sous le règne de fer de Margaret Thatcher. Agnes Bain rêvait d’une belle maison bien à elle, d’un jardin et d’un homme qui l’aime. A la place, son dernier mari la lâche dans un quartier délabré de la ville où règnent le chômage et la pauvreté. Pour fuir l’avenir bouché, les factures qui s’empilent, la vie quotidienne en vrac, Agnes va chercher du réconfort dans l’alcool, et, l’un après l’autre, parents, amants, grands enfants, tous les siens l’abandonnent pour se sauver eux-mêmes. Un seul s’est juré de rester, coûte que coûte, de toute la force d’âme de ses huit ans. C’est Shuggie, son dernier fils. Il lui a dit un jour : « Je t’aime, maman. Je ferai n’importe quoi pour toi ». Mais Shuggie peine d’autant plus à l’aider qu’il doit se battre sur un autre front : malgré ses efforts pour paraître normal, tout le monde a remarqué qu’il n’était pas « net ». Harcèlement, brimades, injures, rien ne lui est épargné par les brutes du voisinage. Agnes le protégerait si la bière n’avait pas le pouvoir d’effacer tous ceux qui vous entourent, même un fils adoré. Mais qu’est-ce qui pourrait décourager l’amour de Shuggie ?

Quatrième de couverture
BOOKER PRIZE 2020 – Glasgow, années 1980, sous le règne de fer de Margaret Thatcher. Agnes Bain rêvait d’une belle maison bien à elle, d’un jardin et d’un homme qui l’aime. À la place, son dernier mari la lâche dans un quartier délabré de la ville où règnent le chômage et la pauvreté. Pour fuir l’avenir bouché, les factures qui s’empilent, la vie quotidienne en vrac, Agnes va chercher du réconfort dans l’alcool, et, l’un après l’autre, parents, amants, grands enfants, tous les siens l’abandonnent pour se sauver eux-mêmes. Un seul s’est juré de rester, coûte que coûte, de toute la force d’âme de ses huit ans. C’est Shuggie, son dernier fils. Il lui a dit un jour : « Je t’aime, maman. Je ferai n’importe quoi pour toi. » Mais Shuggie peine d’autant plus à l’aider qu’il doit se battre sur un autre front : malgré ses efforts pour paraître normal, tout le monde a remarqué qu’il n’était pas « net ». Harcèlement, brimades, injures, rien ne lui est épargné par les brutes du voisinage. Agnes le protégerait si la bière n’avait pas le pouvoir d’effacer tous ceux qui vous entourent, même un fils adoré. Mais qu’est-ce qui pourrait décourager l’amour de Shuggie ? Shuggie Bain est un premier roman fracassant qui signe la naissance d’un auteur. Douglas Stuart décrit sans détour la cruauté du monde et la lumière absolue.

Éditeur ‎EDITEUR GLOBE (18 août 2021)
Langue ‎Français
Broché ‎496 pages
ISBN-10 ‎2383610003
ISBN-13 ‎978-2383610007

Mon pays réinventé d’Isabel Allende, étrangère en terre natale

Certaines personnes portent en elles une histoire, un destin qu’elle s’efforce de partager avec un public de bien des manières. Isabel Allende porte en elle tout un pays, le Chili, terre natale qu’elle a dû fuir dans la tourmente. De par ses mots elle invoque le désert d’Atacama, la terre de feu, Santiago, la capitale tentaculaire. Une invitation au voyage immanquable.

L’ouvrage n’est pas un récit fictionnel, pas de personnage principal, hormis le Chili, qui verra sa géographie, son ethnographie et son histoire être minutieusement exposée. Les Chiliens, peuple d’immigrés et multiethniques, n’échappent pas à une étude de ses mœurs, de sa mentalité paradoxale empreinte d’un esprit de classe. Un portrait d’un pays détaillé qui vaut tous les cours d’histoire.

L’ouvrage n’en est pas moins pourvu d’une part fictionnelle.  Afin de panser sa mémoire d’exilée, Isabel livre ses souvenirs doux-amers sur son enfance. Elle porte un regard malicieux sur son pays et ses concitoyens, une nostalgie se dégage de sa plume chaude lorsqu’elle évoque ce pays si cher à son cœur, si présent dans sa tête mais si loin de son regard. Terre de mystère meurtri par la folie des hommes.

L’histoire tragique récente du Chili et la manière dont Isabel et sa famille l’ont vécu occupent une place importante. Le récit se fait alors analyse politique, débarrassé de l’affect auquel elle pourrait prétendre l’autrice narre le tourbillon sanglant qui a marqué son pays au fer rouge.

Un récit à la croisée des genres, entre récit historique et autobiographique. Peut-être le point d’entrée idéal pour découvrir Isabel Allende et sa plume ronde de conteuse.

Résumé : Isabel Allende se confie : « Presque toute ma vie, j’ai été une étrangère, condition que j’accepte car je n’ai pas d’alternative. Plusieurs fois, je me suis vue obligée de partir en brisant des liens et en laissant tout derrière moi, pour recommencer ma vie ailleurs. » Ayant choisi l’exil après le coup d’Etat du 11 septembre 1973 au Chili, Isabel Allende s’est engagée sur le chemin de la littérature. Aujourd’hui, sur un ton léger et émouvant, elle nous livre son Chili mythique, imaginé dans l’exil, territoire de sa nostalgie, seul pays où elle ne se sente pas une étrangère.
Ce portrait contrasté du Chili, où sont évoquées sa géographie, son histoire, sa culture ou ses mentalités, est entremêlé de souvenirs et de pensées personnelles qui retracent tout le chemin d’une vie. La famille extravagante, l’enfance, les rencontres, les voyages. Isabel Allende dévoile les origines et donne les clés des personnages et des lieux qui sont la matière de son œuvre romanesque.

Éditeur ‎Le Livre de Poche (1 juin 2005)
Langue ‎Français
Poche ‎288 pages
ISBN-10 ‎2253113557
ISBN-13 ‎978-2253113553

L’attrapeur d’oiseaux de Pedro Cesarino, gardien des légendes

Gardien des légendes

L’attrapeur d’oiseaux. Ce titre trompeur vous égarera peut-être sur ce dont l’auteur veut parler dans ce court récit qui oscille entre le récit anthropologue et le conte philosophique. Embarquez sur la pirogue de Baitogogo et tâchons d’y voir plus clair.

Le récit est avant tout une immersion dans une région humide, qui transpire les caresses sans fin d’un soleil impitoyable. La plume immersive de l’auteur permet de ressentir la moiteur de la jungle amazonienne mais aussi toute sa beauté indomptable.

Véritable passeur de savoir, le narrateur récolte les légendes locales comme d’autres les informations. Légendes qui achèvent de donner au récit une couleur et une bonhomie qui tranche avec la réalité sociale livrée aux affres du capitalisme.

Bien qu’empreint d’un certain onirisme, le récit n’en reste pas moins un tableau saisissant des conditions de vie des minorités ethniques dans un Brésil qui a renié ses valeurs humanitaires. La violence sociale est omniprésente, tout comme le racisme envers ses populations qui refuse le conformisme occidental. Par les yeux du narrateur c’est une peinture bien sombre qui nous est dépeinte.

Un tableau que le narrateur allège par son optimisme affable et sa volonté impassible, rendant ce voyage moins âpre. Une légèreté qui se retrouve dans sa manière de s’intégrer aux tribus locales, à adopter leurs us et coutumes, à s’imprégner de leur mentalité à coups de mésaventures et de déconvenues. Son amour pour cette région et ses habitants transparaît à chaque page.

L’attrapeur d’oiseaux combine donc habilement le récit d’aventures et la critique sociale, le tout mâtiné de légendes exotiques. Un voyage en terre inconnue qui laisse un souvenir impérissable.

Résumé : Après avoir essuyé plusieurs échecs sur son terrain de recherche, un anthropologue désenchanté se lance une fois de trop au cœur de « l’enfer vert » amazonien, dans le vague espoir d’enfin recueillir le récit du mystérieux mythe de l’attrapeur d’oiseaux, qui l’obsède. Quadra célibataire et mélancolique, c’est presque à contrecœur qu’il retourne auprès de sa famille amérindienne adoptive, où rien ne se passe comme prévu. De faux pas en impairs, il va faire l’expérience fatidique des limites du langage et de l’impossible communion des narrations du monde.

Éditeur ‎Editions Payot & Rivages (2 mars 2022)
Langue ‎Français
Broché ‎160 pages
ISBN-10 ‎274365578X
ISBN-13 ‎978-2743655785

La comète de Claire Holroyde, raconte moi la chute

Une planète sur laquelle s’agite sept milliards d’êtres humains et une « petite » comète de huit kilomètres de diamètre. Devinez laquelle de ces boules dérivantes dans l’espace va remporter la partie ?

La comète est un roman surprenant à bien des égards. Introspectif mais assez en retrait dans l’émotion, la plume de l’autrice dégage une certaine froideur qui demande à être apprivoisé. La psychologie des personnages est finement reproduite au cours du récit mais toujours de manière clinique. On a parfois l’impression d’assister à une dissection psychologique à laquelle se livrerait l’auteur sur ces personnages. C’est précis mais ça manque d’empathie.

Il faut accepter aussi le parti pris de l’autrice de nous présenter certains personnages puis de les faire disparaitre aussitôt ou après quelques chapitres. Des personnages « météores » en quelque sorte, introduit pour mettre en avant une certaine situation, parfois insoutenable, avant de disparaitre. Il faut comprendre la volonté de l’autrice de raconter une destinée commune et non pas des destins en particulier.

Reste ces passages sur l’écroulement d’une société, sans doute les chapitres où on appréciera le plus le style clinique et en retrait de l’autrice. L’imagination suffit amplement à susciter l’effroi et à glacer le sang.

Sans doute l’un des seuls roman lus en 2021 que je serais incapable de classer dans mes bonnes ou mauvaises lectures. Typiquement le genre de lecture dans laquelle il faut se lancer pour savoir si elle va vous plaire.

Résumé : Jaillie de l’ombre du Soleil, la comète noire UD3 se dirige droit vers la Terre. Une collision semble inévitable, ce qui provoquerait l’apocalypse. Un jeune spécialiste de l’aéronautique, Ben Schwartz, est nommé à la tête d’une équipe internationale censée trouver le moyen de faire dévier la trajectoire de l’énorme bolide céleste. Réunis sur la base de Kourou en Guyane, coupés de leurs proches, des hommes et des femmes de tous horizons rivalisent d’ingéniosité pour affronter ce défi sans précédent. Mais contre toute attente, ce n’est pas l’exploit technologique qui se révèle le plus difficile ; en temps de crise, les passions humaines s’exacerbent, comme sur ce bateau brise-glace en route vers l’Arctique où un photographe baroudeur se rapproche d’une biologiste solitaire. Alors que le temps vient à manquer, chacun se montre sous son vrai jour.

Éditeur ‎GALLMEISTER (6 mai 2021)
Langue ‎Français
Broché ‎512 pages
ISBN-10 ‎2351782313
ISBN-13 ‎978-2351782316

Black sunday de Tola Rotimi Abraham, Les agneaux deviennent des lions

Double découverte avec ce primo roman, découverte d’une tranchante et des éditions autrement, que je ne connaissais pas jusqu’à présent. La découverte fût-elle à la hauteur des espérances ?

Le point fort du roman de cette jeune autrice est de nous immerger dans une société nigérienne bouillonnante, au cœur d’une famille qui va connaître de grand bouleversement. On parcourt les rues de Lagos avec Bibike et Ariyike, on respire les odeurs du marché, les oreilles bourdonnantes du furieux tintamarre d’une mégalopole, Lagos, qui se développe plus vite que ne grandit ses enfants.

Cependant cette immersion est entachée par des choix narratifs qui ne m’ont pas entièrement convaincu. Les ellipses temporelles sont trop nombreuses et empêchent de s’attacher aux enfants de cette famille ballottés par les évènements. On les quitte aux portes de l’adolescence pour les retrouver jeunes adultes. Difficile dans ces conditions de se prendre d’affection pour eux même si l’on compatit à leur sort.

La plume de l’autrice a aussi de quoi laisser perplexe. Acérée comme une lame de rasoir, elle ne laisse que peu de place à l’introspection et au développement psychologique de ces personnages. Et cela s’explique car, au-delà d’un récit familial, l’ouvrage est avant tout un pamphlet contre la société nigérienne.

Une société patriarcal, créée par les hommes, pour les hommes. L’hypocrisie masculine et ses conséquences dramatiques y sont décrites sans fard. Une société qui ne laisse que peu de choix aux femmes, devenir des agneux tondus toute leur vie par l’avidité et la concupiscence de leurs compères masculins ou bien des lionnes aux crocs impitoyables.

Alors que je m’attendais à lire une saga familiale dans un milieu qui me demeure inconnu l’ouvrage se révèle être un pamphlet enflammé contre les méfaits de la domination machiste, d’où mon ressenti mitigé. Cependant cela reste un ouvrage à découvrir pour la découverte d’un pays d’Afrique dont on parle peu.

Résumé : Bibike, Ariyike, et leurs frères Peter et Andrew tombent dans la pauvreté du jour au lendemain. Pour ces quatre enfants de la classe moyenne aisée nigériane, ce qui hier semblait acquis devient l’enjeu d’une lutte constante. Abandonnés par leurs parents, ils se réfugient chez leur grand-mère et survivent comme ils le peuvent à Lagos, ville âpre et convulsive. Si la vie est difficile pour tous, elle est particulièrement cruelle pour les deux soeurs : être une femme au Nigeria, c’est avant tout être considérée comme une proie. Proie pour les hommes, la religion, la religion des hommes. Black Sunday fait une peinture sans fard d’une société nigériane gangrénée par la corruption et met en lumière son rapport brutal aux femmes. Une lueur d’espoir vacillante, mais bien présente, sourd pourtant au milieu des pages. Avec ce premier roman, Tola Rotimi Abraham entre de plain-pied en littérature d’une écriture tranchante, sans compromis.

Éditeur ‎AUTREMENT (25 août 2021)
Langue ‎Français
Broché ‎336 pages
ISBN-10 ‎2746759837
ISBN-13 ‎978-2746759831

Terre liquide de Raphaela Edelbauer, Quand tout s’effondre

Cet ouvrage est là pour nous rappeler qu’un sujet original ne suffit pas à faire un bon livre. Il faut aussi que l’auteur trouve le ton idéal pour narrer son histoire, ce qui n’est malheureusement pas le cas ici.

La quatrième de couverture promet un récit mystérieux, avec peut-être une touche de métaphysique hors il n’en est rien. Ce primo roman oscille entre le récit onirique et la fable écologique sans jamais réellement trouver sa voie.

La narration à la première personne nous permet de partir à la découverte de ce mystérieux village en même temps que Ruth, le personnage principal, mais par la suite cette même narration empêche à ce village et ses habitants de prendre une réelle ampleur. Les errements à la limite du cauchemar éveillé de Ruth empêchent à cette bourgade de s’incarner à travers les pages du récit.

Ainsi aucune ambiance ne se dégage des pages du récit malgré les efforts de l’autrice pour donner de la consistance à son propos. Ce ne sont pas les références à Kafka, vite détournés en humour absurde, qui vont y changer grand chose. Les enjeux apparaissent brouillons et mal exposés, aucun personnage secondaire n’existe sans le regard de Ruth. 

Une déception d’autant plus grande qu’il y avait un réel potentiel. Tout est là pour livrer un récit intrigant mais l’autrice à décider de se concentrer sur le développement de son héroïne, au détriment de l’atmosphère de son ouvrage

Résumé : de voiture. Désireuse d’accomplir leur dernière volonté d’être enterrés dans leur village natal, Ruth Schwarz, jeune physicienne absorbée par le travail qu’elle mène pour rédiger sa thèse sur l’univers bloc et sous l’emprise d’amphétamines entreprend les démarches. Mais elle est bientôt confrontée à une série d’obstacles qu’on dirait surgis d’un cauchemar. Le village en question, Groß-Eiland ne figure sur aucune carte, personne ne le connaît, c’est comme s’il n’existait pas. Quand elle finit par le trouver, à force d’acharnement et aidée par le hasard, elle découvre un bourg médiéval dissimulé dans la montagne autrichienne, charmant, replié sur lui-même et d’abord hostile à l’étranger. Accueillie par un gardien de nuit médiéval et rébarbatif, puis par un marchand de masques qui lui raconte, en guise d’introduction à ce qu’elle va vivre, le mythe aborigène du « temps du rêve », l’héroïne ne tarde pas à s’apercevoir que cet univers est géré par un système féodal et dirigé par une comtesse qui dispose des pleins pouvoirs et ne reconnaît pas les lois modernes de la République. De plus, Groß-Eiland s’effondre peu à peu : les mines creusées par les habitants au fil des siècles absorbent cette bourgade, place après place, maison après maison. À la fois figé dans un passé féodal, et terriblement mouvant, bâti sur une cavité gigantesque, une mine d’argent désaffectée qui semble vivante et ne cesse d’ouvrir des fissures dans les rues, de fendre les murailles et de faire pencher les places vers son gouffre béant. Nommée conseillère auprès de la comtesse, Ruth Schwarz découvre progressivement le fonctionnement de ce village en péril, ses règles protocolaires, ses hiérarchies, sa chaleur humaine, sa solidarité… et la terrible présence d’un passé qui, ici, n’est jamais passé – notamment parce que le village a été intégralement reconstruit, après la Seconde Guerre mondiale, sur du béton coulé dans les ruines. Elle s’y installera pourtant, dans la maison de ses grands-parents, et découvrira les secrets de ce lieu que l’immense trou de la mémoire absorbe peu à peu. Mais comment arrêter la vérité quand elle sort enfin de son puits ?

Éditeur ‎EDITEUR GLOBE (27 janvier 2021)
Langue ‎Français
Broché ‎317 pages
ISBN-10 ‎2211308228
ISBN-13 ‎978-2211308229

Lorsque le dernier arbre de Michael Christie, l’espoir gravé dans l’écorce

Cet ouvrage est bien plus qu’un énième récit post-apo brodant sur le thème éculé du déclin de l’humanité. C’est un ouvrage sur la notion de famille, sur la transmission de valeurs et aussi un formidable message d’espoir pour l’avenir.

Ce roman restera sans doute comme l’une de mes plus belles lectures de cette année. Tout simplement parce que l’auteur est parvenu à me faire changer d’avis sur ses choix de narration et sur mon ressenti concernant ses personnages, ce qui n’arrive que rarement.

En commençant l’ouvrage je me faisais la réflexion que le sujet était intéressant, la narration claire, le propos passionnant mais j’avais l’impression de regarder les personnages à travers une vitre, ce que je trouvais dommage pour une saga familiale où l’attachement aux personnages est primordial. Comme si l’intrigue se déroulait à travers un filtre et que l’auteur nous maintenait à distance de ses personnages. C’était pour mieux nous emmener à la seconde partie.

La première partie du récit, celle où la narration rebrousse le temps, sert à enraciner les thématiques de chaque personnage, à nouer le contexte dans lequel ils évoluent et à planter leurs personnalités. Puis la seconde partie déploie ses trésors d’émotions, la distance s’efface et laisse place à une intensité émotionnelle que j’ai rarement eu l’occasion de lire. Le tout avec pudeur et sobriété.

Une fois le livre refermé on ne peut s’empêcher de saluer l’ingéniosité de l’auteur qui parvient à mêler l’émotion tout en mettant en parallèle les situations vécues par les personnages à des décennies d’écarts. Il parvient à nous faire adopter le point de vue de chaque membre de cette famille atypique, on réussit à adopter leurs choix, même les plus extrêmes. Une famille où chaque branche s’ignore mais se complète, une famille qui ne sait pas communiquer mais qui se transmet pourtant des valeurs fondamentales.

Plus j’y réfléchis, plus je suis persuadé que ce livre est la meilleure lecture que j’ai pu faire cette année, non seulement pour l’émotion qu’il dégage mais aussi pour la résilience dont il fait preuve, un message d’espoir pour notre avenir. Aussi fragile et incertain soit-il.

Résumé : « Le temps ne va pas dans une direction donnée. Il s’accumule, c’est tout – dans le corps, dans le monde -, comme le bois. Couche après couche. Claire, puis sombre. Chacune reposant sur la précédente, impossible sans celle d’avant. Chaque triomphe, chaque désastre inscrit pour toujours dans sa structure. »

D’un futur proche aux années 1930, Michael Christie bâtit, à la manière d’un architecte, la généalogie d’une famille au destin assombri par les secrets et intimement lié à celui des forêts.
2038. Les vagues épidémiques du Grand Dépérissement ont décimé tous les arbres et transformé la planète en désert de poussière. L’un des derniers refuges est une île boisée au large de la Colombie-Britannique, qui accueille des touristes fortunés venus admirer l’ultime forêt primaire. Jacinda y travaille comme de guide, sans véritable espoir d’un avenir meilleur. Jusqu’au jour où un ami lui apprend qu’elle serait la descendante de Harris Greenwood, un magnat du bois à la réputation sulfureuse. Commence alors un récit foisonnant et protéiforme dont les ramifications insoupçonnées font écho aux événements, aux drames et aux bouleversements qui ont façonné notre monde. Que nous restera-t-il lorsque le dernier arbre aura été abattu ?

Éditeur ‎Albin Michel (18 août 2021)
Langue ‎Français
Broché ‎608 pages
ISBN-10 ‎222644100X
ISBN-13 ‎978-2226441003

Le vallon des lucioles d’Isla Morley, toute la bleuette de ton sang…

La période de la grande dépression est un terreau fertile dans lequel les auteurs, grands ou petits, aiment à piocher pour conter leur histoire. Mais l’époque ne fait pas tout, aussi intéressante soit-elle, la plume doit être à la hauteur

Près d’une semaine après la fin de cette lecture je me demande encore pourquoi l’auteure a fait le choix de narrer son récit au présent. Cela crée une dissonance entre l’époque évoquée et la narration. Il m’a été impossible de me sentir immerger dans cette histoire, je n’ai ressenti aucune atmosphère de grands espaces américains typique, aucune ambiance de misère et de ruralité âpre. J’ai été tout du long un simple spectateur de ce récit pourtant prometteur.

C’était pourtant écrit au dos de l’ouvrage qu’il s’agissait d’une romance. Je ne peux pas prétendre avoir été trompé sur la marchandise. Mais voilà l’esprit a cette capacité à occulter les informations qui le gênent ou ne l’intéresse pas de prime abord. Je me suis focalisé sur l’époque, la promesse de la retranscription d’une époque révolue et le mystère rural en omettant le fait qu’il s’agit avant tout d’une intrigue amoureuse entre deux êtres issus de milieux différents.

Cela dit même en prenant en compte cet aspect, l’ouvrage se révèle perfectible. La narration tout d’abord, comme dit plus haut est inefficace et inadapté à ce type de récit. Le développement des personnages est linéaire, le pauvre Ulys ne s’extirpe jamais de son rôle d’amoureux transi. Jubilee s’en sort mieux mais elle est décrite comme naïve jusqu’à la fin du roman. Ce que j’ai trouvé en contradiction avec son parcours et ses expériences personnelles.

Le vallon des lucioles n’est donc pas une lecture désagréable mais elle s’est révélée bien en deçà de mes attentes et ne m’était pas destiné en tant que lecteur. L’éternelle leçon du lecteur qui n’apprend pas de ses erreurs.

Résumé :

1937, Kentucky. Clay Havens et Ulys Massey, deux jeunes photographe et journaliste, sont envoyés dans le cadre du New Deal réaliser un reportage sur un coin reculé des Appalaches.

Dès leur arrivée, les habitants du village les mettent en garde sur une étrange famille qui vit au cœur de la forêt. Il n’en faut pas plus pour qu’ils partent à leur rencontre, dans l’espoir de trouver un sujet passionnant. Ce qu’ils découvrent va transformer à jamais la vie de Clay et stupéfier le pays entier. À travers l’objectif de son appareil, se dévoile une jeune femme splendide, Jubilee Buford, dont la peau teintée d’un bleu prononcé le fascine et le bouleverse.

Leur histoire sera émaillée de passion, de violence, de discorde dans une société américaine en proie au racisme et aux préjugés.

Inspiré par un fait réel, ce roman est une bouleversante histoire d’amour et un hymne à la différence.

Éditeur ‎Le Seuil (4 mars 2021)
Langue ‎Français
Broché ‎480 pages
ISBN-10 ‎2021455394
ISBN-13 ‎978-2021455397