Au fil du temps de George R-R Martin

« Dire que Martin est brillant relève du pur euphémisme. » Jean-Pierre Lion, Bifrost 74
Une forteresse imprenable, dont la reddition pourrait bien signer la fin du monde. Des zones de guerre converties en séjours touristiques. Un vaisseau spatial chargé de la protection de l’humanité. Un joueur d’échecs capable de voyager dans le temps. Le destin des États-Unis suspendu à la visée d’un sniper. En sept nouvelles, George R. R. Martin nous invite à un voyage au fil du temps, mélange de science-fiction et d’uchronie.
Mondialement connu pour sa série du Trône de fer, adaptée en série télévisée par HBO sous le titre Game of Thrones, George R. R. Martin fut un brillant novelliste avant d’être un romancier acclamé. Se jouant de tous les genres avec une facilité déconcertante, il déploie ses qualités de conteur sur la forme courte avec virtuosité, créant des ambiances et des personnages incomparables. C’est tout un pan insoupçonné de la carrière de l’un des auteurs majeurs du XXe siècle qu’Au fil du temps vous invite à découvrir.

Critique: « Au fil du temps »,  est paru en novembre 2013 chez ActuSF est un recueil qui rassemble sept courtes histoires.                                                                                                            -« La Mort est mon héritage », un ancien espion atteint d’un cancer va chercher à partir sur un dernier baroud : l’assassinat du prophète, un sénateur au discours populistes prônant le fascisme. Si le personnage principal semble ne rien avoir d’honorable, son but semble l’être un peu plus puisqu’il veut empêcher le pire de se reproduire. La nouvelle qui devait mettre en scène un ersatz de James Bond se révèle bien vite sombre et pessimiste.
– « Week-end en zone de guerre » où un américain moyen va aller participer à un jeu de combats avec balles réelles et où l’on tue donc pour de vrai. Plutôt effrayé au départ, ce participant n’a qu’une envie : s’enfuir, mais le mépris de ses collaborateurs va le faire changer d’avis. Ce texte est violent et cynique, utilisant ce « sport » pour démontrer la violence américaine, mais pas celle des armes, plutôt celle que la société engendre et produit. Au final, on a une véritable charge contre les Etats-Unis.
– « affaire périphérique » et « Vaisseau de guerre », on aborde donc le space-opéra avec pour la première l’histoire d’un vaisseau porté disparu, risquant de déclencher une guerre, tandis que la seconde nouvelle met en scène le dernier survivant d’un vaisseau décimé par un virus d’origine inconnue. La première est au final une nouvelle ludique, plutôt fun et proposant un moment de divertissement très sympathique. La seconde est une histoire courte et plus sombre, une nouvelle à la chute plutôt réussie. George Martin aborde ici le même genre, mais de deux manières différentes, passant d’une sorte de polar avec l’espace en guise de décor à un huis-clos effrayant.
-« Variante douteuse », il sera aussi question de Huis-clos, mais également d’une autre des passions de George RR Martin : les échecs ! Un auteur raté et son épouse avec qui il ne s’entend plus se rend à un week-end organisé par l’un des membres de son ancien club d’échec, celui qui leur avait fait perdre le tournoi le plus important de leur vie. Une fois sur place, il se rend que leur hôte semble avoir une idée derrière la tête, en rapport avec la partie perdue. Ce texte, le plus long du recueil, est donc un thriller basé sur les échecs et où il sera question de voyage dans le temps ! Si ce récit est angoissant, ça ne l’empêche pas d’aborder d’autres thèmes comme la nostalgie ou les regrets, le tout via une revanche qui semble n’avoir aucune limite. Entre un méchant aussi retors que pathétique et l’écrivain raté, George RR Martin nous décrit un duel de geek stressant.
-« La Forteresse » et « Assiégé » qui ont pour particularité de se dérouler à Sveaborg, une forteresse supposée protégée la Finlande et la Suède de la Russie en 1808, alors que son commandant a rendu les armes, malgré une supériorité numérique et militaire de la place. Le premier est la version historique de cette histoire, tandis que la seconde l’utilise dans le cadre de la SF. Dans les deux cas, on y suit un colonel récalcitrant à l’idée de reddition, par nationalisme dans la première et à cause d’un visiteur du futur dans la seconde.
Du même événement, l’auteur tire donc deux histoires différentes et si la version historique est intéressante, ne serait ce que pour imaginer ses événements, sa présence dans ce recueil prend tous son sens grâce à la deuxième, un pur récit de sf ! L’auteur va ici jouer avec des mutants, du post-apo, des voyages dans le temps et même des univers parallèles. Cette nouvelle qui clôt donc le recueil est un excellent morceau de SF, surprenant à souhait et sachant jouer autant avec ses personnages qu’avec l’histoire.

Au final, ce recueil est un excellent moment de lecture, permettant de découvrir aussi bien les différentes possibilités de son auteur que son évolution en tant qu’écrivain, de se rappeler qu’il est autant capable de créer des univers désenchantés qu’un brin optimiste, de faire de la politique que d’offrir un divertissement sympathique. Une occasion donc de découvrir la partie immergée de l’iceberg à ceux qui ne l’ont pas encore aperçus.

Note : 8/10

  • Poche: 328 pages
  • Editeur : ACTUSF (4 février 2016)
  • Collection : Hélios

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Le cycle de Lanmeur (Tome 3-Les rêveurs de l’Irgendwo) de Christian Léourier

De partout des vaisseaux convergent vers Lanmeur. Si cet afflux est encore contenu dans le territoire contrôlé de l’Enclave, les Mondes Rassemblés ne tarderont plus à contester sa suprématie. C’est dans ce contexte de crise historique que Persval ap Galad est envoyé à la rencontre d’un énigmatique artefact qui erre dans l’espace : dans ses entrailles repose peut-être l’explication de cet univers peuplé d’humanités que Lanmeur réunit depuis des siècles, comme les pièces égarées d’un même puzzle. Un univers dont les lois semblent se modifier avec le temps. Voici le troisième tome de l’intégrale des romans et nouvelles constituant Le cycle de Lanmeur, pièce maîtresse de l’œuvre de Christian Léourier et véritable classique de la science-fiction française. Il comprend, notamment, deux nouvelles inédites. La réédition du cycle a été couronnée par le prix spécial du Grand Prix de l’Imaginaire en 2013.

Critique:

Les Masques du Réel : Ce premier texte va ainsi nous plonger, pour la première fois dans ce cycle, à la découverte de Lanmeur, la planète à l’origine du Rassemblement et de tout ce qui en découle. D’ailleurs on y découvre un Lanmeur en proie à de nombreux soucis, du fait de l’arrivée de plus en plus massives des étrangers rassemblés, voir même parfois on va dire « colonisés » comme on l’a vu dans les précédents tomes, ce qui crée ainsi de plus en plus de tensions et de discriminations. On va alors suivre Persval ap Galad, qui va être envoyé en mission par la Thoreïde pour essayer de lever le mystère d’un vaisseau qui apparait et disparait mystérieusement et qui pourrait se révéler d’une grande importance.

On quitte ainsi le Planète Opera pour se retrouver plus dans un Space-Opera que j’ai trouvé vraiment réussi et entrainant, nous offrant une intrigue qui va se révéler beaucoup plus complexe que le laissait présager les premières pages, avec son jeu de pouvoirs et de manipulations, où finalement chaque chapitre va apporter une pièce supplémentaire au puzzle qui se dessine, se révélant même un point crucial pour l’avenir du Rassemblement. Car oui cette découverte pourrait remettre en cause énormément de choses, principalement d’un point de vue politique. Ce récit se révèle d’ailleurs une pièce importante du cycle puisqu’on en apprend plus sur la politique de Lanmeur et ses convictions, mais aussi on constate un début de fragilité et de remise en cause qui soulève de nombreuses questions. Le rassemblement montre aussi ici ses limites, outre le fait qu’il s’agit plus d’une assimilation et d’une uniformisation, on se rend ici compte que ce projet amène de nombreuses difficultés, des rejets, de nombreuses réflexions aussi et surtout risque de se retourner contre ceux qui l’ont initié. Mais surtout il continue à poser cette question, comment espérer rassembler, voir faire coexister de nombreux peuples similaires et pourtant dans le fond si différent.

L’univers gagne toujours au fil des histoires en profondeur, ici par deux points que j’ai trouvé vraiment intéressants. Le premier vient de la découverte de la planète de Lanmeur, monde à la technologie extrêmement avancé et qui possède aussi une certaine poésie et une certaine beauté qui s’en dégage malgré une certaine froideur. L’autre point vient justement de l’aspect Space-Opera, qui permet ainsi de découvrir plusieurs planètes, mais aussi d’en apprendre un peu plus sur l’Espace qui entoure cet univers et les façon de se déplacer et de communiquer des uns et des autres. Ajouter à cela un travail sur les personnages et leurs relations que j’ai trouvé vraiment réussi, accrocheur bien porté par Persval, à la fois curieux, intelligent, mais qui pourtant selon Lanmeur se révèle « incomplet » du fait qu’il n’ait terminé aucune formation. Mon seul petit regret vient d’une fin que j’ai trouvé précipité et certains passages un peu classiques et prévisibles, mais franchement rien de vraiment gênant tant l’ensemble m’a fait passer un très bon moment de lecture offrant au lecteur de nombreuses surprises.

La Terre de Promesse : Ce texte va nous amener bien des années après Les Masques du Réel, la politique Lanmeurienne a fortement changé, obligé d’intégrer les peuples Rassemblés, elle a connu de nombreux bouleversements parfois destructifs, en tout cas pas toujours bénéfiques. Sauf que voilà le réseau de communication entres les planètes vient de s’éteindre sans raison. Gald l’annaliste va alors entamer un long voyage dans le monde virtuel d’Irgendwo pour essayer de comprendre cette disparition. On change de nouveau complètement de genre, puisqu’on se retrouve plonger ici dans un roman, certes de nouveau space-opera, mais que j’ai trouvé plus métaphysique dans sa façon d’appréhender l’intrigue et de pousser le lecteur à réfléchir.

L’importance du roman ne vient, ainsi, pas tant de la réponse à cette subite panne de communication, mais plus par le voyage et les réflexions que vont soulever les nombreuses aventures et les nombreuses rencontres que va faire Gald le héros principal, qui va alors découvrir un univers de rêveurs qui devaient être parfaits mais qui ne le sont pas, où finalement la guerre et la destruction sont toujours présentes et où l’utopie est bien loin. On se retrouve aussi à se poser énormément de questions sur la réalité, le virtuel, développant un aspect philosophique sur notre existence, où somme-nous finalement le fruit d’une imagination, ce qui apporte ainsi une dose philosophique que j’ai trouvé vraiment fascinante. Surtout que l’auteur reste concis, précis et clair, il ne plonge jamais vraiment dans des explications trop complexes ou ennuyeuses, le tout bien porté par une plume toujours aussi soignée et efficace.

Cela n’empêche pas non plus à l’auteur de nous faire voyager, de nous faire découvrir de nouveaux mondes, à la fois hostiles, passionnants à découvrir, avec leurs us et leurs coutumes parfois étranges, mais qui donnent en tout cas envie d’en apprendre plus. Les personnages m’ont paru peut-être un peu moins profonds et denses que les autres histoires du cycle, ou en tout cas tout du moins plus présents pour faire évoluer l’intrigue, mais cela ne les empêche pas de se révéler intéressant à découvrir et à partager leurs aventures qui ne manquent pas non plus d’action et de rebondissements. Mon seul regret vient de quelques longueurs que se ressentent par moment dans l’histoire, un peu comme si l’auteur ralentissait un chouïa trop son histoire pour ne pas offrir sa conclusion trop rapidement.

De nouveau Christian Léourier propose deux récits qui se révèlent riches, que ce soit aussi bien en réflexions, en personnages ou encore en décors que l’on découvre au fil des pages. Le cycle continue à se densifier pour aboutir à ce dernier texte de cette troisième intégrale qui offre une conclusion ouverte à la fois fascinante, déroutantes et intelligente j’ai trouvé. On continue ainsi à se poser des questions sur l’identité, l’existence ou encore la réalité, le tout toujours porté par une plume fluide, soignée et poétique qui happe très rapidement le lecteur pour ne plus vraiment le lâcher.  Il ne me reste plus qu’à me lancer prochainement dans la quatrième intégrale qui lui reviendra sur les origines du rassemblement.

En Résumé : J’ai passé un très bon moment de lecture avec cette troisième intégrale du cycle de Lanmeur qui, à travers deux textes, vient nous en dévoiler plus sur la planète de Lanmeur ainsi que cette idéologie du Rassemblement. L’auteur nous propose ainsi deux intrigues différentes mais pourtant que j’ai trouvé réussies, efficaces et entrainantes, proposant aussi au lecteur de nombreuses réflexions, qu’elle soit métaphysique ou plus contemporaine. Comme souvent on rencontre aussi des planètes et des lieux qui ne manquent pas d’attraits et donnent envie d’en apprendre plus que ce soit aussi bien d’un point de vue social que par des descriptions de planète, magnifique, hostiles et attirantes. Les personnages sont toujours aussi soignés, accrocheurs et denses, malgré peut-être un léger manque de profondeurs sur certains dans le second texte. Au final je regretterai juste pour le premier texte une conclusion un peu rapide et quelques éléments trop prévisibles et pour le second quelques longueurs, mais franchement rien de non plus bloquant tant je me suis retrouvé emporter par ces histoire, bien portés par une plume toujours aussi soignée, fluide et captivante.

Note 7/10

 

  • Poche: 544 pages
  • Editeur : Folio (29 mai 2015)
  • Collection : Folio SF

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