Mysterious skin de Scott Heim, enfance martyr, enfance volée

Il y a des ouvrages comme ça qui vous happe dès la première page et qui, au fil du récit, se faufile un chemin jusqu’à votre cœur et vous laisse pantois, l’âme éblouie par tant de beauté mélancolique et le visage en larmes. Mysterious skin est de ces ouvrages.

J’ai eu l’occasion de lire ce livre une première fois il y a une dizaine d’années et sa lecture m’a laissé un souvenir impérissable. Aujourd’hui une relecture attentive a confirmé le monument d’émotions brutes que représente ce roman. Un chef-d’œuvre intemporel qui m’a encore bouleversé lors de cette seconde lecture.

Le récit de l’Américain Scott Heim est un chemin de vie parallèle, un double parcour de vie fracassé. L’auteur nous invite à suivre Brian et Neil, deux jeunes garçons prisonniers de la société conformiste de l’Amérique rural du Kansas dans les années 80 jusqu’au début des années 90. Dix ans, dix ans que nous allons passer au cœur de deux vies éteintes par une étreinte démoniaque. Une décennie pour rallumer la flamme et oser braver les ténèbres qui se sont penchées sur leur destin.

Le récit nous offre une narration en miroir où l’on suit les deux personnages principaux alternativement. Le portrait de ces deux êtres marqués par un évènement traumatisant est d’une finesse psychologique rarement égalée. Brian est le gamin mal dans sa peau, introverti, coincé entre un père exigeant et une mère surprotectrice. Un enfant au cri silencieux que personne ne saura entendre. Lors de ma première lecture je me souviens avoir ressenti une certaine lassitude lors de la lecture des chapitres consacrés à Brian, il faut reconnaître que, de prime abord, ce personnage paraît un peu fade face à Neil le flamboyant. Pourtant au fil du récit son parcours va prendre une ampleur insoupçonnée et Brian sera faire preuve de courage pour trouver les réponses aux questions qui le hantent. Accompagner ce personnage durant cette décennie sera, pour le lecteur, comme assisté à la longue sortie de chrysalide d’un papillon qui aurait enterré ses émotions pour mieux les retrouver une fois sa mue terminée.

En face l’auteur met en scène Neil, un personnage magnétique, immédiatement charismatique. Un enfant qui a grandi trop vite et qui ne cesse de se débattre pour échapper au carcans imposés par la société conformiste américaine. Un phénix qui illumine son entourage de sa prestance, de son sens de la provocation, qui consume le cœur de ses proches sans même sans rendre compte, qui se persuade qu’il contrôle sa vie alors qu’il n’en ait rien comme l’auteur va nous le montrer au cours du chemin de vie qui est le sien. Je me souviens que je trouvais ce personnage fascinant lors de ma première lecture, aujourd’hui je comprends que l’auteur a voulu montrer comment un traumatisme peut marquer une vie et influencer les choix d’une personne. Là où Brian apparaît comme une chenille qui doit entamé sa mue, Neil serait plus un éphémère qui brûle sa vie de tous côtés dans un tunnel de drogues, de sexe et de prostitution. Jusqu’au point de non-retour.

« Il portait un T-shirt de dragster, un blouson en vrai cuir avec des fermetures éclair semblables à des rangés de dents, et des bottes assorties. Des animaux ont été tués pour fabriquer ces vêtements, ais-je pensé. Il serait avec un couteau à cran d’arrêt dans une main, et moi dans l’autre. » Wendy Peterson décrivant sa rencontre avec celui qui finira par devenir son meilleur ami.

Pour développer ces deux personnages, aussi chargés en émotions l’un que l’autre, l’auteur a opté pour une plume différente selon qui l’on va suivre. Ainsi les chapitres consacrés à Brian font montre d’une plume contemplative, où l’introspection prend une part importante alors qu’une mélancolie diffuse imprègne toute l’atmosphère. C’est une plume plus ronde alors que les chapitres consacrés à Neil sont écrits dans un style plus acéré, plus mordants. Il faut noter que le parcours de Neil, en véritable acteur principal de sa propre tragédie, nous sont souvent contés par la vision de personnages secondaires tout aussi délicieux et attachants. Leurs points de vue sur le parcours de Neil témoignent de l’impuissance que l’on ressent parfois envers un proche qui refuse notre aide. Des chapitres poignants parcourus par des fulgurances poétiques qui illustrent la détresse psychologique des personnages.

Un récit d’une grande finesse et il n’en fallait pas moins étant donné les sujets délicats qu’il aborde. Les thèmes de la pédophilie, la sexualité précoce et la prostitution sont abordés de manière frontale mais jamais gratuite. Une finesse que l’on retrouve lors d’un final que certains jugeront abrupt mais ce serait oublié que l’auteur ne nous a jamais promis une fin heureuse, juste le chemin qui mène à celle-ci.

Résumé: Récit bouleversant de deux quêtes douloureuses, de deux destins meurtris que rien ne semble pouvoir apaiser, Mysterious skin explore, sans complaisance, sensationnalisme ni faux-semblants, la question de la pédophilie, la complexité de l’éveil sexuel et le passage à l’âge adulte. Tracé d’une plume sobre, empreint de poésie et de délicatesse, un magnifique portrait de l’enfance, dans la violence de relations troubles et traumatisantes.

  • Éditeur ‏ : ‎ Au Diable Vauvert (6 octobre 2005)
  • Langue ‏ : ‎ Français
  • Broché ‏ : ‎ 407 pages
  • ISBN-10 ‏ : ‎ 2846260907
  • ISBN-13 ‏ : ‎ 978-2846260909
  • Poids de l’article ‏ : ‎ 422 g
  • Dimensions ‏ : ‎ 13.1 x 2.7 x 19.8 cm

Petite louve de Marie Van Moere, aiguise tes griffes ma fille

Les fauves sont lâchés

La parentalité et toutes les conséquences que le fait d’être responsable d’une autre vie que la sienne entraîne, voilà un thème qui est prépondérant dans la littérature en ce moment. La cellule familiale mise en avant par Marie Van Moere va devoir faire face à de voraces prédateurs. Reste à voir ce que cette jeune auteure peut apporter de neuf à des thèmes déjà milles fois abordés.

La famille, l’amour de ces êtres avec lesquelles on partage le même sang, l’unité, le clan que cela crée. Une fois ma lecture achevée je me suis fait d’abord la réflexion que l’auteure ne proposait rien de neuf par rapport à d’autres récits abordant ce thème riche et complexe, le récit introduit même une figure paternelle de manière fort opportune. Le duo composé par Agathe et sa fille n’offre rien d’original mais c’est parce la richesse du récit n’est pas tant dans la relation mère-fille que dans l’image de la famille même. Une image qui s’esquisse en reflet avec cette autre famille, le clan Vorstein, une meute prête à tout pour protéger les siens. Le clan Vorstein n’obéit qu’à ses propres lois et elles sont simple, tu fais saigner un membre de ma meute, je te saignerai en retour. Une loi immuable simple mais qui implique une unité familiale inébranlable. À l’opposé la famille d’Agathe est désunie, le père batifole avec une autre femme, la mère est obnubilé par son désir de vengeance et par le désir de protégé sa fille, une fille qui se referme sur elle-même. La seule unité familiale forte du récit est donc une force nuisible et implacable tandis que l’autre famille est désemparée par la situation, en fuite et incapable de faire face à ses propres failles et contradictions.

Si j’ai trouvé la relation entre Agathe et sa fille si peu développée c’est tout simplement parce que, hormis les aspects essentiels à leur survie, la mère et la fille ne savent plus se parler, Agathe se sait pas interpréter les signes qui lui sont mis sous les yeux. Une louve aveugle qui doit protéger un oisillon traumatisé. À l’opposé, comme un reflet souillé, le clan Vorstein voit, observe, scrute les ombres à la recherche de leurs proies et sait réagir en conséquence. Deux images de la famille opposé mais complémentaires. Il est nécessaire de saisir cet aspect du récit pour en apprécier la lecture.

Le récit s’ouvre sur une inhumation. Agathe accompli un acte censé clore un chapitre douloureux alors qu’elle ne fait qu’ouvrir la boîte de pandore qui va les précipités, elle et sa fille sur un chemin sanglant. En cette nuit caniculaire Agathe enterre son nemesis mais aussi la femme qu’elle était. De cette nuit de sang il n’émergera qu’une louve. D’une plume acéré que l’on ne retrouvera qu’occasionnellement au cours du récit, l’auteure sonne le cor d’une traque vengeresse.

Par la suite la plume se fait plus sobre. Elle aligne les actions banales d’un quotidien qui n’a plus lieu d’être comme pour invoquer une normalité anéantie par l’irruption des fauves. À l’image des titres de chapitres, réduits à de simples verbes comme pour mieux souligner le fait que les protagonistes de ce sombre récit en sont réduits à des actions basiques, animales, instinctives. Mais qui sont aussi des rappels incessants pour les deux fugitives de ce qui n’est plus, d’un quotidien reduit en cendre par le brasier de la vengeance.

La vengeance, le désir primaire de rendre le mal que l’on nous a fait, à nous ou à un membre de notre famille, est le second thème dont s’empare l’auteure. Elle questionne cette loi du talion en laissant le lecteur tiré ses propres conclusions. Là encore le récit propose deux images de la vengeance à travers ses personnages. Une vengeance rageuse de mère blessée, une vengeance minutieuse et élaborée sans compromis et, de l’autre, une vengeance d’honneur avec Avi et Iro qui accomplissent leur devoir parmis d’autres méfaits, tels deux prédateurs qui ne savent plus quand doit cesser la chasse. Ces deux personnages me sont apparus comme les seuls failles du récit. Tantôt fauves ivres de violences, tantôt incarnation de Laurel et Hardy qui se seraient fait meurtrier. Une volonté de l’auteure sans doute de contrebalancer ces figures de la vengeance avant l’entrée en scène d’un ultime fauve, parfait reflet d’Agathe dans ses plus sombres aspects.

Le récit s’achève sur une promesse d’une renaissance. La promesse de laisser les plaies du passé cicatrisé. Le roman noir et viscéral de Marie Van Moere n’aura pas abordé les thèmes auxquelsje m’attendais, la relation mère-fille notamment, en tout cas pas comme je m’y attendais, mais c’est sans doute la force de bons romans de nous faire emprunter des sentiers que l’on ne se préparait pas à parcourir de prime abord.

Un dernier mot pour remercier la maison d’éditions la manufacture de livres pour l’envoie de l’ouvrage.

Résumé: La Corse. C’est là qu’Agathe va fuir après avoir entassé dans sa voiture leurs bagages et annoncé à sa fille qu’elles allaient prendre quelques jours de vacances. Cette chirurgienne sans histoire vient de rendre la justice elle-même. L’homme qui avait agressé sa fille, détruit l’équilibre de leurs vies, a été relâché, et elle lui a réglé son compte, définitivement. Mais ce type au casier déjà bien chargé, avait lui aussi une famille qui a l’intention de rendre les coups. Sur les routes de Corse s’engage alors une traque à mort où les femmes et leurs poursuivants se feront tantôt proies, tantôt prédateurs.
Dans ce roman noir au rythme implacable, Marie Van Moere nous offre une sorte de Thelma et Louise débridé où une mère et une fille accomplissent une vengeance qui les conduira sur les chemins les plus obscurs.

ROMAN NOIR

19.90 euros – 272 pages

Parution le 04/03/2021

ISBN 978-2-35887-734-3