Donbass de Benoît Vitkine


Résumé : Sur la ligne de front du Donbass, la guerre s’est installée depuis quatre ans et plus grand monde ne se souvient comment elle a commencé. L’héroïsme et les grands principes ont depuis longtemps cédé la place à la routine du conflit.
Mais quand des enfants sont assassinés sauvagement, même le colonel Henrik Kavadze, l’impassible chef de la police locale, perd son flegme.Chronique : Après avoir été sur le devant de l’actualité en 2014 avec le début de la guerre civile, l’Ukraine est vite retombé dans l’oubli de nos esprits occidentaux. Le polar social de Benoît Vitkine va permettre à ce pays meurtri de se rappeler à nous.

Et le moins que l’on puisse dire c’est que l’auteur nous propose une plongée dans les eaux troubles d’un pays saigné à blanc. Rien ne nous est épargné, corruption, trafic de drogue, magouilles politiques, alcoolisme, violence et surtout infanticide, le quotidien des habitants de la région est mouvementé à tel point que plus grand monde ne réagit lorsque les bombes commencent à pleuvoir. C’est un portrait de l’Ukraine réalisé à la neige sale écrasé par les chenilles des tanks. Avant d’être un polar, l’ouvrage est un récit social où la misère côtoie la plus grande cupidité.

L’auteur s’attache à nous montrer à quel point le jeu stupide qu’est la guerre dissimule des enjeux beaucoup plus sérieux pour lesquels beaucoup sont prêts à mentir et à faire usage de la violence. Comme toujours certains arrivent à tirer leurs épingles du jeu alors que l’ensemble de la population se débat entre la misère et les bombardements incessants. L’adage bien connu « le malheur des uns fait le bonheur des autres » n’a jamais été aussi vrai. Cela ne rend pas la balade dans les ruines de la ville d’Avdiïvka moins glaçante pour autant.

Ce n’est pas le narrateur désabusé, le colonel Henrik Kavadze, qui va nous remonter le moral. Conscient du mal qui gangrène ce pays qu’il aime malgré tout, Henrik à encore plus conscience du fait qu’il est impuissant à changer quoi que ce soit tant les forces en présence le dépassent. Cela ne l’empêchera pas de se démener pour tenter de protéger le peu d’innocence qui reste encore dans son quotidien et ce malgré le fait qu’il doit se débattre avec un puissant syndrome de stress post-traumatique. Henrik n’est pas un personnage attachant, ses démons prennent parfois le dessus, mais c’est un personnage auquel il faut s’attacher car il est l’un des rares à conserver une once d’humanité dans une région en proie à tous les vices.

En moins de trois cents pages l’auteur parvient à condenser tous les maux de l’Ukraine, qui ruinent le pays depuis maintenant six ans, dans un récit mêlant réalisme social et intrigue policière. Je regrette juste que la fin fasse un peu trop carte postale contrastant avec l’aspect miséreux et glauque du reste du l’ouvrage.

Note : 8/10

Éditeur Les Arènes
Date de publication 5 février 2020
Langue Français
ISBN-13 979-1037500595

De bonnes raisons de mourir de Morgan Audic (2 mai 2019)

Résumé : Un cadavre atrocement mutilé suspendu à la façade d’un bâtiment. Une ancienne ville soviétique envoûtante et terrifiante. Deux enquêteurs, aux motivations divergentes, face à un tueur fou qui signe ses crimes d’une hirondelle empaillée. Et l’ombre d’un double meurtre perpétré en 1986, la nuit où la centrale de Tchernobyl a explosé…Morgan Audic signe un thriller époustouflant dans une Ukraine disloquée où se mêlent conflits armés, effondrement économique et revendications écologiques.

Lien Amazon : https://www.amazon.fr/dp/2226441425/ref=cm_sw_r_cp_awdb_c_zi6aEb2962V15

Chronique : Comme il est bon de finir l’année sur un excellent polar. J’ai l’impression de l’avoir attendu toute l’année celui-ci. Il réunit tous les ingrédients que j’affectionne particulièrement dans mes lectures polars, atmosphère, intrigue et personnages.

Commençons par ces derniers, aucun ne brille par son originalité mais le personnage du capitaine Joseph Melnyk, le milicien qui a roulé sa bosse, qui croit en sa mission de maintien de l’ordre malgré le regard désabusé qu’il porte sur la société ukrainienne est crédible et solide. Il sera notre porte d’entrée dans la découverte d’un pays qui ne s’est toujours pas remis de la tragédie de Tchernobyl et qui traverse aujourd’hui une guerre civile qui saigne à blanc sa jeunesse. Le second personnage, l’enquêteur Alexandre Rybelko, est emprunté à la figure du flic alcoolique, dur à cuire, dont les espoirs d’une vie meilleure ont depuis longtemps fondu comme neige au soleil. Là encore l’écriture du personnage fait mouche, l’auteur donne en quelques pages une profondeur à ce flic torturé que la vie n’épargne pas. Les autres membres du casting sont à l’avenant que ce soit Galina Novak, la bleue qui veut faire ses preuves, ou Ninel, la militante écologiste qui ne s’en laisse pas conter.

L’atmosphère maintenant, il ne suffit pas de situer l’intrigue de son polar dans la région irradié pour donner une densité particulière à l’œuvre. Non l’auteur a brodé autour de la tragédie initiale pour nous conter trois décennies de malversations politiques, de misères humaines et de désastres sanitaires. L’auteur distille les anecdotes concernant la catastrophe et ses conséquences de manière savante, nous rappelant tout au long des quatre cents pages de l’œuvre que rien n’est réglé plus de trente ans après. Grâce à son style visuel les paysages désolés de la région prennent vie contribuant à apporté une ambiance macabre et désespérée.

Terminons par l’intrigue. Les deux enquêtes parallèles s’entremêlent sans se marcher dessus et délivrent petit à petit les éléments qui vont mener à la résolution. Tout cela serait déjà satisfaisant pour tous amateurs de polars mais l’auteur se permet en plus un twist final relié de manière indirect à l’enquête. Je soupçonne l’auteur d’avoir semé sciemment des petits cailloux afin d’envoyer les lecteurs les plus perspicaces dans une direction, persuadé qu’ils seront d’avoir deviné les derniers indices, avant de les propulsé dans une direction innatendue qui finit de placer ce roman dans le top des meilleurs que je n’ai jamais lu.

Voilà un auteur qu’il va falloir suivre de près, surtout s’il continue à écrire des histoires aussi dense et adictives.

Note : 10/10

Éditeur Albin Michel
Date de publication 2 mai 2019
Langue Français
Longueur du livre 496
ISBN-10 2226441425